SALLES DE CINEMA, PORTRAITS EN COURS
La Plateforme, Pôle cinéma audiovisuel des Pays de Loire œuvre en faveur de la mise en valeur de tous les acteurs de la filière. À l’heure où le questionnement sur l’avenir des salles de cinéma est devenu incontournable, le Pôle vous propose une série d’articles mensuels, de février à août, pour découvrir les coulisses de ce lieu en mutation : son fonctionnement, ses enjeux, les personnalités qui le font exister et qui le réinventent chaque jour. Après un portrait de David Batard du cinéma le Gen’éric à Héric en février puis de Sylvette Magne du cinéma Le Jacques Tati à Saint-Nazaire en mars, l’enquête se poursuit ce mois-ci avec Emmanuel Gibouleau du Cinématographe à Nantes.
PORTRAIT 3/6 : EMMANUEL GIBOULEAU, DIRECTEUR DU CINEMATOGRAPHE
Directeur du Cinématographe, Emmanuel Gibouleau coordonne l’offre de films proposés par la salle. À travers cycles et séances spéciales, le cinéma entretient toute l’année un appétit pour la pluralité des cinémas et s’emploie depuis 10 ans à promouvoir cette sensibilité auprès des autres salles associatives du département.
CYCLES, JEUNES POUSSES ET RAMIFICATIONS
Tout a commencé par la télé. En voilà un joli gros mot pour ouvrir un article sur un acteur des salles de cinéma engagées dans la diffusion de la diversité. Mais voilà, les faits sont là et Emmanuel Gibouleau ne doit pas être le seul de sa génération à avoir connu ses premiers émois de spectateur devant des westerns spaghettis. « Je suis allé au cinéma assez tard. Là où j’ai grandi en Vendée, il n’y avait pas vraiment ce qu’il fallait en termes de salles. J’ai donc découvert le cinéma par Canal + lorsque mes parents se sont abonnés quand j’entrais au collège. J’ai alors commencé à voir des films en VO notamment. Mais avant ça, il y avait les westerns et Bebel, dont j’étais fan absolu quand j’avais sept-huit ans ». Ensuite, sa cinéphilie est partie tout azimut. « Je n’avais pas de goût particulier ou prédéfini jusqu’à ma rentrée au lycée. Là j’ai commencé à me documenter et à comprendre un peu mieux ce que je pouvais voir. Je regardais tout ce qui passait, du bien comme du pas bien. Mais il y avait quand même des choses bien dedans ».
Devenu depuis directeur du Cinématographe Ciné-Nantes Loire-Atlantique, fédération de 9 associations et 8 personnes ressources qui gère la salle du Cinématographe, son positionnement est bien plus défini et n’engage pas que lui. « Le premier critère pour projeter un film sur l’écran du Cinématographe, c’est qu’on le juge bon à montrer. L’important, c’est la qualité artistique du film et non son potentiel commercial ou un genre particulier de cinéma ». Arrivé en 2001 au sein de cette salle associative, Emmanuel Gibouleau est aujourd’hui responsable de la programmation. Mais le directeur du Cinématographe est loin d’être le seul à décider des films qui seront diffusés sur cet écran. Au Cinématographe, la programmation est collective. La commission réunit une petite vingtaine de personnes pour un éventail d’âges allant de 25 à 85 ans. La rencontre de cinéphiles aux sensibilités différentes permet de proposer chaque mois de nouveaux cycles thématiques originaux qui ne se refusent pas, comme c’est le cas actuellement, à faire écho à l’actualité. Le cycle « Battre campagne » réunit ainsi fictions (Pater d’Alain Cavalier), documentaires (Le Président d’Yves Jeuland), films sortis cette année (Chez Nous de Lucas Belvaux) ou qui replongent le spectateur dans l’ambiance du vieux cinéma hollywoodien, en noir et blanc et borsalino (L’Enjeu de Frank Capra, de 1948).
LES BONNES VIEILLES TOILES
Pour la plupart des salles, le rythme toujours croissant des sorties laisse peu de place pour la découverte ou la redécouverte des pépites qui jalonnent l’histoire du 7e art. Le Cinématographe a lui une histoire qui se confond avec les origines du cinéma. Et il ne compte pas la renier. En 1908, sous le nom de l’American Cosmograph, vitrine et propriété de la société Chocolat Poulain, cette salle fut le premier cinéma fixe de Nantes. Quand en 2001, et après une demi-douzaine d’années d’arrêt, son activité redémarre sous la forme d’une salle associative, son équipe de programmation ne rechigne pas à regarder vers le passé. Même si, comme le rappelle Emmanuel Gibouleau, « on ne va pas dire qu’un tableau est moins intéressant parce que c’est un vieux tableau », reste que favoriser une cinéphilie qui traverse âges et formes du cinéma demeure une démarche atypique. Désormais, cette orientation en faveur du patrimoine figure parmi les missions de l’équipe du Cinématographe.
« Nous militons pour montrer toute la diversité et toute l’histoire du cinéma, notamment aux jeunes publics puisque ce sont les plus réticents à voir les films muets, en noir et blanc, ou en version originale. C’est à nous de leur montrer que c’est possible de les regarder, que ça ne fait pas de mal et qu’au contraire, on peut même trouver parfois ça génial ». L’un des buts initiaux de l’association était bien de faire du cinéma un « espace de formation des publics à l’image », dans la lignée des principes de l’éducation populaire. Le Cinématographe est aujourd’hui coordinateur départemental d’École & cinéma et de Collège au cinéma et participe à Lycéens et apprentis au cinéma.
LA DÉCOUVERTE S’ORCHESTRE
« Le public ne se renouvelle qu’en fonction du travail que nous menons dans l’exploitation. Moins il y aura de diversité, moins le public va se renouveler ». Vis-à-vis du public, l’exploitant a une responsabilité dans l’offre cinématographique qu’il propose. À l’échelle d’un territoire, ces responsabilités s’additionnent. C’est pourquoi dans le cadre de la mission SCALA* que lui a confié le Conseil départemental de Loire-Atlantique, l’équipe du Cinématographe coordonne des formations destinées aux équipes des 35 salles associatives que compte le département. Parmi tous les champs des métiers de l’exploitation (technique, comptabilité, communication) proposées lors de ces interventions, il y a des séances de « prévisionnements ». Ces journées, proposées au rythme d’une tous les deux ou trois mois, ont pour but de montrer des films dont la sortie est prévue au cours du prochain trimestre.
Selon Emmanuel Gibouleau, « la première des formations pour un exploitant, c’est de voir un film avant de le programmer ». C’est pourquoi, la première valorisation des films en VO, des films Art et Essai, du cinéma des enfants ou des documentaires se joue là, auprès de ces équipes formées majoritairement de bénévoles. « Même si ce n’est pas inscrit dans le cahier des charges de la mission SCALA, nous militons pour la diffusion d’un cinéma d’Art et d’Essai et de recherche. Nous militons pour que ces salles-là qui sont souvent rurales bénéficient d’une programmation plus diversifiée que ce qu’elles peuvent « naturellement » programmer ».
Crédit photo : Maud Ordener
DÉMÉNAGER POUR PERDURER
Si les membres du Cinématographe ont une conception large de l’offre cinématographique, ils se sentent aujourd’hui un peu à l’étroit au sein dans la salle historique de la rue des Carmélites. Ils souhaiteraient de véritables espaces conviviaux où accueillir les spectateurs et leur permettre de prolonger leur soirée. Aujourd’hui, ils doivent se contenter d’un « micro hall d’accueil » qui donne directement sur la rue. « Nous avons vraiment envie d’un grand espace d’accueil où on puisse boire un coup, grignoter à l’occasion de la présence d’un invité ou d’une soirée spéciale. Que ce soit un lieu où on ait envie de venir traîner même sans aller voir un film derrière ».
Pour prendre de l’air l’équipe est prête à déménager de son écrin historique. Elle planche sur un projet d’un cinéma doté de trois écrans, toujours situé dans l’hyper-centre de Nantes. Car le véritable nerf de la guerre est ici comme ailleurs économique et lié à la qualité de cinéma mono-écran du Cinématographe. Cette situation critique est pointée par les tutelles depuis sept ans et arrive aujourd’hui à un point culminant. Les nécessaires mises aux normes en termes d’accessibilité impliquent de réduire d’un tiers le nombre de fauteuils d’une salle qui connaît par ailleurs un fort taux d’occupation par fauteuil, soit de 30%. Avec trois écrans, le cinéma pourrait continuer à satisfaire la demande de séances scolaires, assurer des soirées spéciales et un turn-over moins frustrant, bref maintenir la diversité de son offre cinématographique dont il est le garant à l’échelle locale. Car plus que la chapelle des Carmélites, voilà où réside le véritable cachet du doyen des cinémas nantais.
Alexandre Duval
* SCALA, acronyme qui signifie Salle de cinéma associative de Loire Atlantique, est une mission du Conseil départemental de Loire-Atlantique, confiée en 2006 à l’association Le Cinématographe avec pour but de favoriser la formation des équipes et la circulation des films dans les salles associatives du département.
Crédit photo en couverture : Rudy Burbant
Fiche d’identité
Nom complet du cinéma : Le Cinématographe
Directeur : Emmanuel Gibouleau
Programmateur : Le Cinématographe
Site web : www.lecinematographe.com
Contact : info@lecinematographe.com
Adresse : Salle : 12 bis rue des Carmélites 44 000 Nantes / Administration : 17 rue Paul Bellamy 44 000 Nantes
Labels et Classement : Art & Essai, labels Patrimoine, Répertoire, Jeune Public, Recherche
Fréquentation en 2016 : 51 180 entrées payantes
Nombre de films programmés à l’année : En 2016 : 384 long métrages / 242 court métrages
Tarifs pratiqués : de 3 à 5 euros
Réseaux : GNCR / Acid / Agence du court métrage / Documentaire sur grand écran / AFCA / ADRC
Les événements phares du cinéma : En permanence !… Si l’on ne devait choisir qu’une chose : les rétrospectives et cycles mensuels.
Les trois meilleurs films en 2016 :
Si ce sont les 3 films qui ont fait le plus d’entrées (hors scolaires) : La Boutique des pandas / La Chouette entre veille et sommeil / Monsieur Bout de Bois. Si c’est mon top 3 des films sortis en 2016 : Aquarius / Elle / Toni Erdman.
Le premier film programmé par le Cinématographe : Dans sa forme actuelle : Le Salaire de la peur, en octobre 2001. La toute première ouverture a eu lieu en mars 1908, mais nous n’avons pas trace du film programmé à cette occasion.
- David Batard du Gén’éric à Héric ;
- Sylvette Magne du cinéma Le Jacques Tati à Saint-Nazaire ;
- Sylvain Clochard, directeur du Concorde de Nantes ;
- Didier Anne et Gautier Labrusse du cinéma Le Lux à Caen.