Le court métrage NEFTA Football Club d’Yves Piat, réalisateur nantais de 46 ans, avait déjà une très belle carrière derrière lui, commencée par l’un des plus beau prix du Festival de Clermont Ferrant, le prix du public, en 2019.
100 festivals et 65 prix plus tard sur les 5 continents, il est non seulement en lice pour les Césars mais aussi pour les Oscars. Une première (sauf erreur de notre part) depuis Jacques Demy en 1965, signe qu’ici aussi, on peut tutoyer les sommets.
Nefta Football Club est ton troisième court métrage. Quel est ton parcours ?
J’ai commencé par le dessin, puis le dessin animé vers 16 ans. J’habitais à Brest, je suivais les cours des Arts appliqués et je suis rentré au studio de Joël Tasset à Gouesnou (précurseur du dessin animé en Bretagne dès les années 60 NDLR) où j’allais tous les mercredis. J’y ai appris les bases de la prise de vue, le banc titre, le découpage. À la maison, je m’étais bricolé une installation avec un caméscope où déjà je réalisais de petites histoires. Mais au bout de deux ou trois ans, j’ai trouvé la technique de l’animation image par image trop longue.
Après une formation de design industriel, je suis parti à Paris, j’ai écrit un spectacle de One Man Show que j’ai joué au Théâtre Trévise et je me suis aperçu que ce que j’aimais, c’était écrire. À cette époque, j’avais 22/23 ans et j’étais graphiste chez Euro RSCG.
Comment as-tu commencé à travailler dans le cinéma ?
J’avais des envies de cinéma, mais je n’avais pas fait d’ école. Alors je me suis formé, grâce à … un CD-Rom ! Il y avait des centaines d’heures de cours : je me les suis toutes ingurgitées. En fait, je suis un vrai autodidacte du cinéma…
Mon premier métier dans le cinéma, ça a été assistant décorateur chez Fouillé Wieber à Aubervilliers qui faisaient des décors pour les pubs de Besson, les plateaux télé de Delarue ou les films d’Enki Bilal. Je m’y suis pointé un matin, j’ai montré mes dessins et j’ai commencé l’après-midi même !
Puis j’ai réalisé de fausses pubs, en 35 mm cette fois-ci, vers 25 ans : ce sont mes premières expériences comme réalisateur à part entière. J’en ai faite une sur le tabac, qui a été suffisamment remarquée pour être interdite parce qu’elle pouvait choquer les personnes trachéotomisées. Elle a fait un petit buzz et est passée dans la Nuit des Publivores, sur Culture Pub.
J’en ensuite fait de la régie, puis de la régie générale.
Et à 27 ans, en 2001, j’ai réalisé un premier court-métrage, Tempus Fugit, avec Maurice Garrel, produit par Lazennec qui a fait pas mal de festivals et qui a eu quelques prix.
C’est seulement après ce court que je suis devenu cinéphile. J’ai passé 3, 4 ans à regarder 2 à 3 films par jour : j’ai rattrapé mon retard en culture cinématographique. J’habitais alors Montmartre, il y avait là-bas un vidéo-club, le vidéo-club de la Butte, bien fourni.
Et puis j’ai arrêté pendant dix ans, j’ai vécu une vie de famille normale qui m’a éloigné de la réalisation, même si je n’ai jamais arrêté d’écrire….
Et donc en 2015, tu recommences à t’intéresser au cinéma ?
Après ma séparation, le cinéma est revenu naturellement.
J’ai tourné un deuxième court en 2015. Et j’avais un projet de long au Maroc : je suis parti là-bas pour faire des repérages avec un fixeur. Il m’a amené à Zagora. Ça m’a subjugué, le désert, les Touaregs. J’ai alors su que le désert serait présent dans un prochain film. Et je me suis souvenu d’un truc qui m’est arrivé dans mon enfance : dans un bâtiment abandonné où j’allais jouer avec un copain, on est tombé sur des sacs plastique remplis de poudre blanche…
Cette histoire d’enfance a résonné avec celle de ces mômes du Maghreb qui jouent partout, comme je le faisais. Et un passeur marocain m’a raconté comment le shit était transporté dans les montagnes : les ânes les traversent tous seuls, avec un enregistrement auquel ils sont formé dès tout petits et qui diffuse des sifflements pour leur indiquer le chemin ! J’ai trouvé ça plus marrant que ce soit une musique. Nefta est parti de ces quatre choses : le désert, la découverte de drogue, les enfants et les ânes.
Affiche du film NEFTA FOOTBALL CLUB
Comment s’est déroulée la production de Nefta ?
J’avais cette histoire en tête et j’ai demandé à un copain s’il connaissait un producteur que ça pourrait intéresser. J’ai d’abord eu un contact avec un premier producteur, mais ça n’a pas abouti : la boite était trop jeune, pas assez solide. Plusieurs mois plus tard, fin 2016, le même copain m’a parlé des Valseurs, et là ça a marché, je me suis bien entendu avec les producteurs, ils avaient déjà eu un film à Cannes, ils m’ont semblé bons, en particulier en distribution. Mais il s’est passé 3 ans entre notre rencontre et la sortie du film, ce qui finalement n’est pas si long pour un court.
En fait, ça a vraiment commencé avec le prix du scénario que j’ai eu à Premiers Plans en 2017. Le responsable du court métrage de France 2 était dans la salle et avant même que le prix soit décerné, il m’a dit qu’il était intéressé. On a aussi eu l’aide à la production des Pays de la Loire et on a monté le financement du film avec cet argent-là et un peu du CNC. Mais on n’avait que la moitié du budget, alors on a dû s’organiser avec cet argent.
Comment s’est déroulé le tournage ?
Un mois et demi avant le tournage, qui devait se dérouler au Maroc, les producteurs se sont aperçu que c’était trop cher pour nous et qu’il fallait tourner en Tunisie. Nous n’avions pas le choix. Je suis donc parti en Tunisie faire de nouveaux repérages et en fait on a trouvé des décors qui marchaient bien. Pour l’anecdote, heureusement qu’on a tourné la-bas, car au moment du tournage, il neigeait dans le désert marocain !
Au début, je devais avoir 9 jours de tournage, qui ont été réduits à 8 puis à 7 ! Avec seulement 2 ou 3 jours dans le désert, le reste à Tunis. Mais Tunis, c’est vert, cela n’est pas le désert. J’ai tenu bon, j’ai failli arrêter, je ne voulais pas, en fait je ne pouvais pas tourner autre part que dans le désert : c’est un des personnages principaux.
Et pour que cela rentre financièrement, on est donc passé à 6 jours de tournage. J’ai dû, avec mon premier assistant Stephane Chaput trouver des solutions pour que cela soit possible. En particulier, j’ai modifié le scénario. Tout ça à 10 jours du tournage. J’ai ajouté des séquences de nuit pour pouvoir allonger les journées de travail et avoir toutes les séquences nécessaires à l’histoire.
Mais avant il y a eu le casting. J’ai vu une centaine d’enfants, et c’est seulement à la fin, deux jours avant le tournage que j’ai trouvé le plus jeune, que la rencontre a eu lieu, que j’ai trouvé ceux avec qui c’était évident.
Photos du tournage
Depuis sa sortie début 2019, Nefta a fait une carrière exceptionnelle en festival : tu passes ta vie dans les avions ?
J’essaie d’accompagner le film le plus que je peux, mais ça n’est pas toujours possible. Les frais ne sont pas toujours payés, mais grâce aux prix, qui comportent parfois une somme d’argent, je voyage quand même pas mal ! Je suis allé au Québec, en Italie, en Turquie, à Tanger… Je ne suis pas encore allé aux USA, mais c’est pour bientôt depuis que Nefta est sur la short-list. Sur les dix courts en lice, cinq seulement seront sélectionnés pour la compétition finale et je sais désormais que Nefta en fait partie : je vais devoir aller faire de la promo sur place !
C’est assez drôle les festivals : au bout d’un certain temps, tu croises les mêmes réalisateurs, puisque c’est souvent les mêmes films qui sont sélectionnés dans les festivals internationaux.
Ce qui me fait le plus plaisir, c’est que sur les 55 prix qu’a eu le film, 20 sont des prix du public. Le premier, à Clermont-Ferrand, c’est l’un des plus beau, l’un des plus en vue d’après ce qu’on m’en dit. Il y a dans ce festival un vrai public, formé aux courts métrages, puisque dès l’enfance ils vont voir les films. Lors de la projection, on sent vraiment si la salle répond. Il y a une ambiance de dingue !
Qu’est-ce qui t’a amené à Nantes ?
Une femme. Après Brest, j’ai habité Paris. On ne quitte pas Paris comme ça : il faut un coup de pied au cul et l’amour en est un bon. Car cette ville est magnétique. Mais quand tu y retournes après l’avoir quittée, tu dis que tu as bien fait d’en partir. C’est invivable, les gens sont dans leur bulle, c’est une ville qui mange, qui rejette et qui recrache. C’est pour cela que plein de parisiens viennent s’installer à Nantes.
Ça fait 15 ans que j’habite à Nantes. Mais c’est seulement après la séparation et le retour du désir de cinéma que j’ai commencé à m’intégrer un peu au milieu : c’est difficile, j’ai mis 3 ou 4 ans avant de me sentir nantais. J’ai eu la chance de rencontrer des gens via des associations et c’est comme ça que je me suis fait un petit réseau local et que j’ai pu tourner mon deuxième court à Nantes, avec quelques nantais et des acteurs belges.
Mais je travaille peu à Nantes, même si je donne des cours dans une école privée de cinéma. Pour Nefta, les locaux, c’est Stephane Chapu, mon premier assistant, et Jérémie Halbert qui a fait le mixage au studio des Docks du Film.
Quand Nefta a commencé à cumuler les prix, on a cherché à financer la campagne de promo pour les Oscars, ce qui coûte cher puisqu’il faut à minima payer un(e) attaché(e) de presse sur place et s’y rendre pour donner des ITV. Air France Nantes me soutient en m’offrant un billet et on attend un retour de la Ville de Nantes pour une aide.
Selon toi, qu’est-ce qu’un bon film ?
Pour moi, la base, c’est qu’un film respecte le contrat avec les spectateurs qui est de les emmener, il ne faut pas les laisser sur le côté. Il faut bien sûr que l’image soit bonne, que le son soit bon, que ce soit beau. Mais il faut d’abord et avant tout que le spectateur soit acteur du film, qu’il soit embarqué dans la narration, qu’en fait il n’en soit pas un spectateur distancié. Si on regarde comment est fait le film, c’est fini, il n’y a plus de film. Par exemple, Paul Thomas Anderson, il fait les deux : c’est magnifique, mais d’abord et avant tout, il t’emmène dans l’histoire. À la première vision, tu es embarqué. C’est seulement à la deuxième, troisième vision que tu te rends compte à quel point c’est beau : ça a participé au plaisir quand tu as découvert le film, mais ça n’est pas ostentatoire. C’est un moyen.
Quels sont tes projets futurs ?
Je travaille sur plusieurs projets de long. La carrière de Nefta permet que les producteurs lisent mes projets. Mais rien n’est vraiment gagné… Et à court terme, comme je le disais, je dois aller faire la promo du film aux USA pour avoir une chance d’être nominé et pourquoi pas remporter l’Oscar.
Un super film, malin, drôle ; il mérite !!
Très bon film! J’ai eu la chance de le voir lors d’une projection à Bordeaux.
Néanmoins, Les petites mains (Little Hands) de Rémi Allier est également aux Oscars!