Ils sont programmateurs, producteurs, distributeurs ou encore réalisateurs en Pays de la Loire et étaient présents cette année au Festival de Cannes. Cinq d’entre eux se sont confiés sur leur rapport à la plus célèbre manifestation cinématographique au monde. Un regard à mille lieues du prisme médiatique habituel, entre montées des marches et inlassables pronostics. Ici, Cannes, c’est le travail. Un travail qui peut revêtir différentes réalités, du visionnage boulimique de films côté programmateurs, à une succession de rendez-vous en tous genres côté producteurs et distributeurs. Une constante cependant : la conscience de participer à un événement d’une envergure sans pareil, qui nécessite donc un temps d’apprivoisement…
Estelle Robin, productrice aux Films du Balibari :
« Il n’y a pas que Cannes dans la vie ! »
Depuis quand venez-vous à Cannes ?
Depuis 2 ans seulement. Je vais dans beaucoup de marchés et de festivals, mais je trainais un peu des pieds pour Cannes. Le déclic a été l’année dernière, quand le film de mon amie Julia Kowalski, Crache cœur, a été sélectionné à l’ACID.
Qu’allez-vous y voir en particulier ?
Cette année, je présentais Comme des lions au festival off Visions sociales. J’essaie aussi de voir des films, mais je manque de temps. J’ai participé à La fabrique des cinémas du monde pour découvrir de nouveaux projets. Cette année, je suis une formation européenne pour les producteurs. J’ai retrouvé pas mal de collègues de cette formation à Cannes. Plus généralement, j’essaie de rencontrer des distributeurs.
Que vous apporte le festival ?
Une vision plus large du cinéma, de ce qui se fait. C’est bien de parler de Cannes, mais il y a aussi d’autres événements : IDFA à Amsterdam, Visions du Réel à Nyon, la Berlinale, le Sunny Side of the Doc à La Rochelle… Il n’y a pas que Cannes dans la vie !
Une définition personnelle de Cannes ?
Un très gros endroit où il y a tout, et où chacun trouve ce qu’il veut. On ne peut pas tout prendre à bras le corps. Il faut donc cibler ce que l’on veut y faire, à l’inverse d’autres festivals, plus petits, où il est peut-être plus facile de travailler. À Cannes, il faut d’abord prendre ses marques.
Ce que vous retenez de cette édition 2016 ?
Mon film à Visions sociales, même si ce n’était pas à Cannes même. La prochaine fois, j’espère bien venir avec un film en sélection !
Emmanuel Gibouleau, directeur du Cinématographe :
« Toute la planète du cinéma dans la même ville pendant huit jours »
Depuis quand venez-vous à Cannes ?
Depuis 2007, déjà pour le Cinématographe.
Qu’allez-vous y voir en particulier ?
Depuis trois ans, je me concentre sur la Quinzaine des réalisateurs parce qu’on fait une petite reprise à la rentrée. Je vais aussi voir les films de l’ACID et de la compétition. Je picore selon mes envies et ce qui est possible en terme de planning, de temps de queue potentiel. Le hasard joue donc beaucoup : je me laisse surprendre.
Que vous apporte le festival ?
Pouvoir voir des films en avance. On croise aussi des collègues. Toute la planète du cinéma est dans la même ville pendant huit jours. On croise forcément des gens qu’on a au téléphone toute l’année. Après, c’est aussi le festival des rendez-vous manqués. Tout le monde prend des rendez-vous informels en amont de Cannes… qu’on n’arrive jamais à tenir sur place !
Une définition personnelle de Cannes ?
Cinéma et vulgarité ? En général on voit parmi les meilleurs films de l’année quand on est dans les salles et, dès qu’on en sort, c’est ce que j’ai vu de plus vulgaire dans ma vie : les voitures de luxe, les plages où passe constamment du David Guetta. Musicalement parlant, je préférerais évidemment être avec les copains à Primavera…
Ce que vous retenez de cette édition 2016 ?
Pas mal de choses. En compétition, les films de Mungiu, Assayas et Jodorowsky. Je vais aussi à Cannes classics, évidemment, revoir quelques vieux films. Cette année, j’ai revu la version restaurée d’un de mes films préférés, Police fédérale Los Angeles de William Friedkin, présentée par Friedkin et Willem Dafoe en personne. Cannes, pour moi, ce n’est pas seulement utilitariste. C’est ça, les métiers-passions…
Jonathan Musset, réalisateur, producteur et distributeur pour Wayna Pitch :
« Il faut que les jeunes aillent à Cannes, même s’ils ont l’impression de ne pas avoir grand chose à y faire »
Depuis quand venez-vous à Cannes ?
La première fois, c’était en 2013, pour essayer de trouver un distributeur pour mon premier long, Midnight globe. J’étais très naïf. En fait, les distributeurs français ne sont pas à Cannes pour voir des Français mais pour rencontrer des producteurs internationaux. Ceci dit, j’ai beaucoup appris sur les codes de Cannes en participant au Producer Workshop.
Qu’allez-vous y voir en particulier ?
La raison principale, c’est notre deuxième long-métrage, Good-bye Romeo, pour lequel on cherche des coproductions à l’international. J’ai participé au Producer Network : 7 jours d’échanges avec des producteurs étrangers. L’autre raison est liée à mon activité de distributeur. Je rencontre des producteurs ou des agents de vente de films. On parle business, conditions d’acquisition et parfois, on repart avec des films. Cette année, on en a négocié deux, qu’on va sortir d’ici 2017.
Que vous apporte le festival ?
Plein de connaissances sur l’écosystème du cinéma. J’ai l’impression de mieux comprendre la problématique de la vente des films : ce qui est vendu et acheté. Cela m’aide dans l’écriture de mes films. Cannes permet aussi la rencontre avec de grosses structures, difficiles à contacter par ailleurs. J’ai échangé avec le directeur des acquisitions internationales de MK2, cette année…
Une définition personnelle de Cannes ?
C’est une belle opportunité d’apprendre, quand tu débutes. Mais cela peut aussi être frustrant. Tu as parfois l’impression que ton badge n’ouvre aucune porte. Tu découvres la hiérarchie dans le monde du cinéma. Ceci dit, il faut que les jeunes aillent à Cannes, même s’ils ont l’impression de ne pas avoir grand chose à y faire. C’est forcément formateur.
Ce que vous retenez de cette édition 2016 ?
Que le monde du cinéma est en train de changer complètement. Beaucoup de films petit budget arrivent de façon massive et, cette année, la réalité virtuelle a été très présente. Cela change fondamentalement la façon de faire du storytelling. Pour séduire les 15-25 ans, on a besoin de remettre en cause notre façon de faire du cinéma en utilisant les nouvelles technologies.
Camille Chandellier, productrice à La Petite Prod et productrice exécutive pour Capricci :
« Du réseau, pas dans le sens cocktails et paillettes, mais dans le sens travail »
Depuis quand venez-vous à Cannes ?
Une dizaine d’années. Ma première venue était très déstabilisante. Ça ne me paraissait pas facile d’y travailler. Puis, j’ai dédramatisé en expérimentant au fil des années. J’arrive beaucoup mieux à optimiser mon temps sur place maintenant.
Qu’allez-vous y voir en particulier ?
Je rencontre des professionnels étrangers, pour mettre en place des coproductions, et je découvre des réalisateurs. C’était le cas il y a deux ans avec Petra Szőcs, une réalisatrice hongroise dont j’avais adoré le court en compétition. On s’est rencontrées et j’ai produit son deuxième court, qu’on vient de terminer. Cannes, c’est l’opportunité de regrouper en une dizaine de jours des rendez-vous qui se seraient normalement étalés sur des mois. Pour une petite société comme la mienne, qui a un budget limité, c’est intéressant.
Que vous apporte le festival ?
Du réseau, pas dans le sens cocktails et paillettes, mais dans le sens travail. C’est marrant parce que souvent, quand je suis à Paris, on me fait sentir que je suis une professionnelle de la région des Pays de la Loire alors qu’à Cannes, beaucoup moins. Les interlocuteurs étrangers, le fait que je sois à Nantes ou Paris, ils s’en fichent. Ça ne leur parle pas. Alors qu’en France, être productrice de fictions en région, c’est une particularité.
Une définition personnelle de Cannes ?
C’est un peu une grande foire, qui peut être intimidante tellement son ampleur est importante. Mais la réussite de Cannes, c’est d’arriver à faire de la place pour le cinéma à la fois en tant qu’art et en tant qu’industrie très dynamique. D’un côté, c’est le plus gros marché du film au monde et de l’autre, une réelle visibilité est donnée à des œuvres pointues.
Ce que vous retenez de cette édition 2016 ?
Souvent, je me rends à Cannes seulement 3 ou 4 jours pour des rendez-vous. Là, je suis resté les 10 jours. Ça m’a permis de voir des films ! Cette édition a été marquée par une excellente sélection ACID : des films singuliers, audacieux mais qui restaient accessibles et tournés vers le public.
Laurent Dufeu, coordinateur de Graines d’Images :
« Pouvoir parler avec les distributeurs sans être dans l’actualité d’une sortie »
Depuis quand venez-vous à Cannes ?
Depuis 2004, pour voir des films en tant que programmateur. Les sélections cannoises rassemblent des films qui sont en grande partie ceux avec lesquels on va travailler sur l’année.
Qu’allez-vous y voir en particulier ?
Les distributeurs avec qui on travaille, qu’on a l’occasion de voir physiquement ici. Car dans l’année, tout se fait par téléphone. Mine de rien, ça change la donne. Des relations de confiance se créent. Concernant les films, on travaille de moins en moins sur la compétition officielle. Le Ken Loach, par exemple, on sait que les salles avec qui on travaille vont déjà le demander. On préfère travailler sur des films plus singuliers.
Que vous apporte le festival ?
De l’avance sur l’année. Pouvoir parler avec les distributeurs sans être dans l’actualité d’une sortie. Par exemple, on peut déjà échanger sur un film qui sortira en 2017 en imaginant comment on pourra accompagner les séances.
Une définition personnelle de Cannes ?
Un lieu à la fois très agréable et très désagréable. C’est très agréable d’aller voir des films qu’on ne connaît pas, sur lesquels il n’existe encore aucun bouche à oreille. Mais il y a aussi tout un côté procédurier, paillettes, qui est parfois complètement à l’opposé de certains films, dont on sait qu’ils sont dans une économie très compliquée…
Ce que vous retenez de cette édition 2016 ?
Le niveau général était assez bon mais, depuis 2-3 ans, on se rend compte que Cannes n’est plus forcément le festival où l’on déniche les choses les plus pointues, à part à l’ACID. Dans beaucoup de festivals moins médiatisés, on retrouve de meilleures surprises. Sans vouloir la jouer régionale, un festival comme celui de la Roche-sur-Yon propose des choses hyper intéressantes.
Propos receuillis par Matthieu Chauveau