Nous sommes allés à la rencontre de Paolo Moretti à la tête du Festival International du Film et du cinéma Le Concorde à la Roche-sur-Yon depuis février 2014.
Celui qui nous accueille pour le lancement du Portail de la Plateforme nous a parlé de sa passion, de la 6ème édition du Festival International du Film et de sa volonté de tisser des liens entre le cinéma et d’autres formes artistiques.
Après Venise, Marseille, Rome… qu’est-ce qui vous a attiré ici à la Roche-sur-Yon ?
La possibilité de faire évoluer un évènement comme le Festival International du Film qui avait déjà une belle renommée. En même temps, la possibilité d’apprendre sur les systèmes de distribution et de diffusion de cinéma parmi les plus complexes au monde. C’est cette configuration si rare de gérer une salle et un festival en même temps qui m’a attiré. Et puis il y avait la complicité que je sentais avec mes prédécesseurs et leur beau projet.
J’ai toujours bougé là où j’avais des choses à apprendre et ici les potentialités étaient passionnantes. Je ne regrette pas une seconde le choix que j’ai fait. Et je suis loin d’avoir terminé mon apprentissage.
Comment gère t-on conjointement un cinéma Art et Essai et un festival ?
Ce sont deux choses très différentes dans les mentalités, les dynamiques, les temps et les types de travail. Ce qui reste constant ce sont les distributeurs français comme interlocuteurs mais de façon différente sur la sortie en salle de films, sur les choix stratégiques. Comme on a un nombre limité de salles c’est toujours compliqué de faire des choix. C’est une réflexion que je conduis toute l’année avec Sylvain Clochard (responsable du Concorde à Nantes) et Guilia Boccato (programmatrice du Concorde de la Roche). On décide ensemble des stratégies à conduire et des films que nous allons soutenir.
Depuis 2015, on essaie de développer des partenariats continus avec des institutions culturelles de la ville : Grand R (la scène nationale) ou encore le Fuzz’Yon (la salle de musiques actuelles). On crée des ponts, des passerelles entre les interlocuteurs, on s’entoure du tissu d’associations qui est particulièrement dense à la Roche.
Par sa nature le cinéma se prête plutôt naturellement à interagir avec d’autres disciplines, l’idée n’est pas de s’arrêter aux cinéphiles mais de mettre en circulation les publics. On construit des projets culturels à coté de la vie « normale » d’un cinéma d’art et essai. En parallèle des films, on essaie de mettre en place quelque chose d’unique en relation au territoire et à la société dans laquelle le cinéma opère. Si pendant l’année c’est le Grand R et ses invités qui viennent au cinéma pour présenter des films sur lesquels ils ont collaborés; pendant le festival c’est le cinéma qui investit les lieux du Grand R, les équipes interagissent, il y a de beaux échanges. C’est une chose assez rare.
Evidemment il y a des temps de travail très différents. Moi je travaille toujours dans l’urgence, j’attends d’ailleurs une confirmation pour un film à 12 jours de l’ouverture du festival. Le Fuzz’Yon ou le Grand R élaborent leur programmation un an à l’avance. Se retrouver sur un temps commun est assez compliqué mais c’est possible. Beaucoup de choses se font grâce aux relations personnelles. Certains responsables d’établissements posent des frontières, se protègent d’une certaine façon. J’agis à l’inverse : je ne veux pas de ma petite armée, de mon public qui vient chez moi et nulle part ailleurs. On essaie de faire circuler le cinéma et de ne pas s’enfermer entre cinéphiles !
Il y a une programmation au Fuzz’Yon en lien avec le cinéma. L’année dernière, par exemple, on passait Eden en avant-première. On a invité Zven Love le dj qui est le point de départ du film pour qu’il joue au Fuzz’Yon suite à la projection du film. Cette année c’est sur un autre ton. On présente L’Elan un film tourné et soutenu en région. Le réalisateur Etienne Labroue, l’homme de l’ombre de Groland, a un groupe de musique qui s’appelle Les Producteurs de porcs. La projection de L’Elan va naturellement se poursuivre au Fuzz’Yon où Etienne Labroue va monter sur scène et changer de casquette. Je vois ça comme une extension du film.
Vous parlez de L’Elan mais quel regard portez-vous plus largement sur la création cinématographique en région Pays de la Loire ?
Je trouve qu’elle est particulièrement riche et de très bonne qualité. Le fait que l’on ouvre le festival avec Tempête, un film tourné aux Sables d’Olonne, ce n’est pas grâce au lieu de tournage ! Ce film nous a immédiatement convaincu et je suis sûr qu’il aura une très belle vie en salles. Par contre, le fait de le montrer ici c’est quelque chose de spécial : il va résonner de manière très différente auprès du public.
Quelles relations, quelles articulations y a t-il entre le Festival International du Film et les autres festivals de la région ?
Il y a plein de correspondances, on a des passions communes. Les festivals ont souvent des contraintes : l’Asie, l’Afrique, l’Amérique Latine pour le Festival des Trois Continents, l’Espagne pour le festival du Cinéma Espagnol, les premiers films européens pour le festival Premiers Plans. La spécificité duFestival International du Film c’est justement qu’il n’a pas de spécificité. Nous sommes un festival généraliste sans contrainte de provenance géographique, de genre, de durée, de format. Il y a forcément des complicités. Le Festival Premiers Plans a repris cette année quatre titres que nous avions présentés l’année dernière à La Roche.
Loin de moi toute forme de compétition ou de concurrence avec ces festivals là. On est plutôt complémentaires. Je me réjouis qu’il y ait d’autres festivals pour accueillir ceux que je ne peux pas programmer ici car je n’ai pas la place. Quand je projette un film chinois j’aimerai que le Festival des Trois Continents soit là car ils ont les clés et ils ont fait un travail de sensibilisation du public phénoménal.
Ce que j’aimerai par contre c’est avoir le même budget que les autres festivals ! On a presque la moitié du budget du Festival des Trois Continents. On est le plus jeune festival c’est notre 6ème édition. Les autres ont 20 ou 30 ans d’âge. Comme ils étaient bien implantés, cela nous a permis de faire un travail complémentaire.
L’avenir des festivals semble passer par une diversification des actions en plus des projections : des ateliers, des journées professionnelles … Comment ça se passe au Festival International du Film?
La rencontre entre un créateur et son public est vraiment au cœur du festival. On limite le potentiel d’un festival si on ne réfléchit pas au croisement d’envies, d’intérêts, de désirs. Une ville regarde un festival avec certaines exigences de rayonnement, d’attractivité. Un réalisateur regarde un festival comme une occasion de rencontrer le public et d’échanger. Un distributeur regarde un festival comme une occasion de présenter son film, d’en tester le potentiel, de développer une stratégie de sortie. Pour un vendeur international qui n’a pas encore vendu le film sur le territoire c’est une occasion magique pour le montrer et le vendre. Le public veut voir un film, un film nouveau de préférence. Un festival doit pouvoir répondre à toutes ses envies là.
Pour moi le festival doit permettre de faire reconnaitre le travail qu’il y a autour d’un film. Ce sont des œuvres collectives pas seulement du point de vue technique et artistique mais aussi du point de vue de la diffusion. Le festival c’est un lieu de rencontres (entre un artiste, un producteur, un distributeur) car les films se font comme ça. C’est ce genre de rencontres qu’un festival doit faciliter.
J’aimerai le faire encore plus, mais c’est contraint par mon budget. Alors, on essaie de répondre à cette exigence en le faisant de la façon la plus informelle possible. On fait avec les moyens du bord : beaucoup de bonne volonté, beaucoup de sympathie mais pas beaucoup de budget !
Comment pourrait-on envisager plus de collaborations entre le festival et les professionnels qui font le cinéma dans la région ?
On pourrait créer un moment un peu « showcase » pour montrer ce qui a été produit en région cette année. On pourrait imaginer une séance où l’on montre une idée, une séquence des films suivie d’un débat et d’une rencontre avec les équipes techniques et artistiques. Ça serait une séance intéressante rien que pour informer ou s’informer de ce qui se passe. Je pense bien sûr à des films qui pourraient être dans la sélection officielle du Festival International du Film, des films qui se revendiquent du cinéma sans barrière de genre, qui sortent de l’audiovisuel utilitariste. Je serai ravi d‘accueillir un événement comme celui là qui serait festif bien sûr ! Moi cela m’intéresserait beaucoup de mieux savoir qui fait quoi.
On voit apparaître de nouveaux modes de diffusion, les financements alternatifs… Tous ces changements viennent bousculer la chronologie classique du cinéma, comment un festival se positionne face à ces accélérations, ces transformations ?
On fait attention… sachant que tout est en train de changer et que ça va vite. Je reste convaincu que l’accès au film sur un ordinateur ou au cinéma ce n’est pas la même expérience et que si ça peut influencer la fréquentation en salle, le festival reste avant tout une occasion de rencontre. Ce n’est pas la même chose d’être plongé dans une ambiance de festival, de partager ensemble et en même temps, une expérience que d’en parler en ligne. Mais cela permet d’être plus réactif et mieux informé. On devrait se faire à l’idée et imaginer comment on peut travailler différemment sur les films avec ces nouvelles dynamiques. Il n’y pas de crainte, on va s’adapter.
Comment avez vous conçu la programmation de cette année, quels sont les temps forts, les surprises que vous nous réservez ?
Je rejette totalement la notion de temps fort. Pour moi chaque séance est un temps fort. Je ne veux surtout pas me poser en donneur de leçon. Il y a plein de choses différentes justement pour que chacun puisse trouver son propre temps fort. Mon souhait, c’est que tout le monde participe à tout. On a fait en sorte de couvrir un spectre très large pour respecter toutes les sensibilités du public. J’essaie de toujours rester à l’écoute. Le festival s’adresse à tous mais je garde une oreille attentive au public de la Roche.
L’année dernière on a refondé totalement la programmation. Le Festival International du Film était plutôt centré sur des invités prestigieux et des programmations thématiques. Désormais, on présente des nouveaux films par sections. On a des hommages évidemment (cette année Noémie Lvovsky, Franco Piavoli, Vincent Lindon) mais ils participent de la programmation au même niveau que les autres films.
Il n’y a aucune hiérarchie en fait. Pas de première ni de deuxième ligne de compétition qui ferait office de parking de luxe pour les films qui n’étaient pas assez forts pour la compétition « des grands ».
Une partie du programme est extrêmement accessible à tous, pour l’autre il faut, disons, être prêt pour nouvelle aventure. Il y a une donnée que je cherche dans chaque film et qui fait partie de ma personnalité : j’ai besoin d’être conquis rapidement du point de vue sensoriel, j’ai besoin qu’un film puisse se recevoir sans forcément devoir bâtir des structures intellectuelles pour pouvoir l’accueillir. Voir un film comme ça, comme on le regarde à la télé, mais qui aille aussi bien au-delà. Qu’un cinéphile pointu et que le spectateur télé puissent voir le film et en ressortent avec quelque chose de différent. Je conçois la programmation du festival avec cette double attention.
Et je cherche aussi à faire une prospection très large, je ne me limite pas à voir ce qui se passe à Cannes. Je suis naturellement plongé dans un contexte un peu plus international. Cannes je le vis au même titre de Rotterdam, Londres, Busan, South by Southwest… On essaie de montrer autre chose, des films sans distributeurs en France et qui n’ont rien à envier à ceux qui étaient à Cannes cette année. On essaie en toute modestie d’offrir une chance et des opportunités à ces films, ces auteurs, ces producteurs. C’est ce genre de travail que j’aime faire.
Pour en savoir plus et consulter le programme : Site du Festival International de la Roche-sur-Yon
Propos recueillis par Hélène Morteau. Photographie : Hélène Morteau.