Résumé
Marilyn, timide quinquagénaire, est caissière de cinéma faute d’avoir réussi sa carrière d’actrice. Un jour, un casting est organisé dans son cinéma. Une chance inespérée qu’elle ne va pas laisser passer même si, pour cela, elle devra défier l’autorité de son patron.
Journal de bord #1 : septembre 2020
J’ai démarré l’écriture de L’Âge mûr en octobre 2018, lors du deuxième Parcours d’auteurs de La Plateforme, avec un synopsis de deux pages. À l’issue du Parcours, je me suis engagée avec moi-même à écrire tous les vendredis. Maintenant le projet s’appelle Seven Bitches, fait 24 pages et je suis parvenue à une version très satisfaisante. Pourtant, c’est plus fort que moi. Je suis Charlot sur sa chaîne de montage dans Les Temps modernes. Je lis ma nouvelle version et je me remets à l’ouvrage !
Sociable mais solitaire, j’ai découvert l’énorme bénéfice du travail en commun lors du Parcours d’auteurs. J’en tremblais de peur mais je me suis jetée à l’eau avec la certitude d’être repêchée en cas de noyade. Les camarades me tendent un miroir bienveillant. Ils font apparaître des éléments qui m’ont échappés (ou que je ne veux pas voir). Ma force, je la puise dans ces discussions. Nous continuons nos séances d’écritures collectives, chacun sur son projet mais réunis autour d’une même table.
L’été se termine. Je dois passer un cap : sortir de ma douillette zone de confort – l’écriture. Recherches de financements, de décors, de collaborateurs… Heureusement, à mes côtés, un producteur, Mael Cabaret (Les 48° Rugissants) et une merveilleuse artiste / jongleuse / performeuse, Phia Ménard, pour incarner mon personnage Marilyn. Par les temps qui courent, beaucoup d’incertitudes planent sur l‘avenir du cinéma et des salles de cinéma. Pour ma part, j’ai plus que jamais besoin de rêver aux côtés des autres, assise sur mon siège. Vive le cinéma !
Journal de bord #2 : octobre 2020
Céline : chercher un·e producteur·trice
Chercher un.e producteur.trice a été une expérience similaire à celle de M. Hulot dans le jardin de la Villa Arpel (Mon oncle de Jacques Tati) : l’objectif est simple, le parcours plus compliqué.
Pour mes précédents courts métrages, tous deux belges, je n’avais pas eu à chercher de producteur·trice. Cette fois-ci, j’y suis parvenue de manière empirique, en sautant d’un conseil à l’autre, en acceptant que cela allait prendre du temps et en saisissant ma chance quand elle s’est présentée.
A l’issue du Parcours d’auteur·trice·s, mon pitch en salle avait séduit le public, les retours étaient très bons. De plus, le scénario avait obtenu le prix Emergence de la ville de Nantes. Complètement euphorique, j’ai envoyé tout azimut mon scénario aux sociétés de production ayant assisté au pitch. Je n’ai pas eu de retour et je ne les ai pas relancés pour en savoir plus. A la rentrée de la Plateforme 2019, j’avais beaucoup apprécié l’intervention d’une productrice. Elle était en terrasse, un verre à la main. J’ai préféré fuir en participant au quizz musical. J’allais devoir me secouer pour que les choses bougent, adviennent !
Au départ du projet, j’ai mis toutes mes idées de gags, tout ce qui me faisait plaisir. Il y en avait beaucoup trop. Je me suis fixée comme objectif de retravailler mon scénario pour éclaircir mon propos, affiner mon univers et rendre le projet plus léger : diminuer le nombre de scènes, de décors, de personnages secondaires, de scènes de nuit en extérieur… Ces contraintes m’ont été profitables car j’aime l’épure et la simplicité. Elles m’ont permis de mieux assumer mes choix artistiques. J’ai également fait lire mes différentes versions à des personnes bienveillantes et de confiance. J’y ai puisé beaucoup de force et d’énergie pour poursuivre le travail.
J’ai fixé mes priorités : d’une part, je voulais une société de production « près » de chez moi. Aucune envie de prendre le train ou de discuter par FaceTime, Zoom etc. Voir les gens, discuter avec eux, est très important pour moi. D’autre part, en comédie burlesque, il était capital de trouver une personne qui soit réellement sensible à ce genre, ce qui n’est pas si simple.
Finalement, au bout de 18 mois, j’ai suivi le conseil d’une réalisatrice qui m’a dirigée vers une productrice qui m’a conseillé de rappeler Adeline Ledantec, productrice à Brest (Les 48° Rugissants). Adeline avait vu mon précédent court métrage en festival et avait participé à la sélection des projets pour le Parcours d’auteur·trice·s. En 2019, je l’avais contactée mais elle avait trop de projets en cours. Grosse déception. En juin 2020, elle ne pouvait toujours pas mais un de ses collaborateurs, Mael Cabaret, cherchait des projets. Je lui ai aussitôt envoyé mon projet et mon précédent court métrage. Trois jours d’attente puis une réponse courte : « J’ai lu, j’ai vu. Cela m’a plu. » YES !
Avec le recul, je comprends que j’ai mis du temps à trouver un producteur parce que je ne me sentais pas prête. Mon scénario n’était pas assez abouti, je ne me sentais pas assez sûre de moi. C’était dur de monter au créneau dans ces conditions. Mael et moi n’avons jamais travaillé ensemble, nous expérimentons une première collaboration. Pour moi, ce qui est primordial dans cette relation producteur/réalisatrice c’est de dialoguer, de se sentir comprise, soutenue, d’aller dans la même direction et de voir quelqu’un qui a une stratégie de production. Affaire à suivre !
Maël : s’engager aux côtés de Céline
Pour comprendre comment naît un couple auteur·trice – producteur·trice, il me faut avant tout revenir aux prémisses, poser le contexte, car il n’y a pas deux cas pareils. Car si partager un désir de film peut paraître une évidence, d’autres facteurs rentrent en ligne de compte et peuvent soit nous embarquer dans l’aventure, soit nous faire manquer le rendez-vous.
Dans le cas présent, comme le précisait Céline, c’est par l’intermédiaire de mon associée, Adeline Le Dantec, que son scénario m’a été proposé. Adeline n’avait plus de place pour de nouveaux projets, alors que de mon côté je savais qu’une ouverture serait bientôt possible. J’ai donc été particulièrement attentif et réactif pendant cette période.
Comme toutes les sociétés de production, nous recevons beaucoup de scénarios et même si cela peut paraître un peu déstabilisant, il faut parfois tomber au bon endroit au bon moment. Car s’engager auprès d’un·e auteur·trice ne se fait pas à la légère. Cela induit d’investir du temps et de l’argent. Et à l’échelle d’une société comme la nôtre, c’est un véritable pari sur l’avenir.
Par ailleurs, nous n’avons pas tous le même profil chez Les 48°Rugissants. Personnellement, je partage mon activité avec la réalisation, d’où ma volonté de maintenir un volume assez faible de films en production. Cela me semble incontournable afin de maintenir un accompagnement de qualité et donner toutes leurs chances aux projets. Enfin, avant de prendre une décision, je veille à maintenir un équilibre entre fictions et documentaires. En raison du peu de cases attribuées au court métrage et face à une compétitivité accrue, ce genre est plus difficile à financer.
Monter sur un projet de fiction est donc pour moi assez rare. Le coup de cœur doit être indéniable, d’autant que pour défendre un projet il faut y croire. Croire dans l’idée de film, croire dans la sensibilité de son écriture, croire dans la personnalité de son réalisateur ou de sa réalisatrice, et enfin croire que ce projet saura se démarquer auprès des diffuseurs. Autant de paramètres qui ne vont pas de soi. Ce fut pourtant le cas de Céline avec Seven Bitches dont le ton m’a de suite conquis. Cinéphile dans l’âme, j’y ai retrouvé un univers décalé et un propos bien senti qui laissaient peu de place au doute. J’ai alors pris le temps de regarder son précédent court métrage, Boulevard l’océan, ce qui a confirmé mon intérêt. Le lendemain je lui proposais de se rencontrer.
Céline habite Nantes et moi Rennes ; une heure de route, mais deux régions différentes. Cela oblige à s’adapter et repenser sa stratégie de financement, mais j’aime l’idée de créer des passerelles avec les Pays de la Loire, comme je venais de le faire précédemment avec le film de Xavier Liébard, Splendeurs et illusions. Une très belle expérience qui m’invitait à réitérer l’exercice. C’est donc avec plaisir que j’ai décidé de m’engager dans cette nouvelle collaboration.
Journal de bord #3 : décembre 2020
Trouver une actrice pour interpréter Marilyn : des inspirations à l’incarnation
Quand je crée un personnage, j’ai besoin d’un corps pour l’incarner. Impossible d’écrire des scènes sans VOIR ce personnage dans un VRAI décor. Dans un premier temps, je prends ce que j’ai sous la main : moi-même. Ça m’est d’autant plus facile que je travaille comme caissière dans un cinéma. J’envisage même un temps jouer le rôle. Puis, Marilyn prend la forme de Catherine Mouchet. Au tout début de sa carrière, elle obtient le César du Meilleur Espoir féminin pour son rôle dans Thérèse d’Alain Cavalier (1986) puis disparaît de longues années des écrans de cinéma.
Son parcours singulier m’a inspirée pour celui de Marilyn. Je dresse une liste des impératifs pour incarner le rôle :
- avoir cinquante ans (car il est hors de question de faire jouer une femme jeune jouant une femme plus âgée, ce serait aller à l’encontre même de mon propos) ;
- posséder un jeu physique ;
- savoir mimer, danser plutôt que de parler ;
- si possible, avoir un physique hors des sentiers battus.
Fiona Gordon ! Je suis absolument fan de l’univers qu’elle a créé avec son compagnon (de travail et de vie) Dominique Abel. En juillet 2019, je lui propose le rôle. Elle le refuse avec beaucoup de tact. Trouver le ressort comique d’un personnage lui demande beaucoup de temps, de préparation, de recherche. Or, du temps et de la disponibilité d’esprit, elle n’en a pas. Elle est sur un nouveau long métrage avec Dominique Abel. Grosse déception car Fiona est la seule, à ma connaissance, à maîtriser le registre du burlesque et à avoir l’âge requis… Mais quelle joie d’apprendre qu’il y aura bientôt un nouveau film d’Abel & Gordon !
Deux modèles me trottent depuis longtemps dans la tête : Giulietta Masina et Gena Rowlands. Qu’est-ce qui me plaît tant chez elles au-delà de leur jeu physique ? Leur esprit facétieux. Je vois dans leur regard ce gros potentiel à faire des bêtises comme les enfants en font. J’adore. En février 2020, j’apprends que Phia Ménard sera présente au Katorza, le cinéma où je travaille. Elle est invitée pour une carte blanche. Phia Ménard… Je me souviens du seul spectacle que j’ai vu d’elle, au lieu unique à Nantes. Elle jouait avec de la glace. Ce challenge m’avait épatée. Je tape son nom dans Youtube et tombe sur un petit reportage pendant le Festival d’Avignon, où elle présente sa dernière création : Saison sèche. Elle y mime un défilé militaire et le regard qu’elle adresse à la caméra me scotche. Je retrouve l’esprit de Giulietta et Gena. Il y a donc une enfant en Phia qui a besoin de s’exprimer ! Une révélation pour moi.
Le jour de la carte blanche, je suis prête. J’ai imprimé mon scénario et Caroline, la directrice du Katorza, est d’accord pour me présenter à Phia. Je ne la voyais pas aussi grande et majestueuse. Je suis intimidée mais en même temps, sûre de ne pas me tromper de Marilyn. Et merde, je me lance ! La rencontre est courte, elle est très sollicitée, mais je vois disparaître mon scénario dans son sac à main. Yes ! De longues semaines de silence radio suivent. Gloups. Je la relance au risque d’être relou ? Je préfère patienter…. Finalement, je la relance ! Or ce premier très long confinement joue en ma faveur, Phia a le temps de lire le scénario et de me répondre. De mon côté, je continue à écrire et Marilyn prend les traits de Phia. Je pousse plus loin le burlesque des scènes. On se rencontre en juillet. Elle me donne son accord pour jouer le rôle. Woooooohoooooo Je suis abasourdie ! Ça met la barre bien plus haut que tout ce que j’avais imaginé. Marilyn a maintenant un corps, un visage et un regard singuliers. Progressivement, cette histoire commence à prendre une tournure concrète…
Étape suivante : les demandes de subventions !
Journal de bord # 4 : février 2021
Le temps des demandes de subventions
Le temps des demandes de subventions est une période étrange, en accordéon. Avec des moments très speeds et des attentes interminables.
Les subventions sont attribuées sur la base d’un dossier artistique et technique. La date limite de dépôt de dossier est une épée de Damoclès au-dessus de votre tête. C’est la course pour être dans les temps. C’est un moment que j’aime beaucoup, plein d’excitation, de gros jurons quand on s’aperçoit trop tard qu’il y a une coquille dans le dossier. C’est sûr, ils ne vont voir que ça ! Mais non ! Mais si ! Rendre un dossier est une étape de travail très importante. J’ai l’impression de tout donner. Que cette version est vraiment la bonne, la toute dernière, la meilleure !
Après le dépôt, plus rien ne dépend de vous. Le dossier est lu par un comité de lecture dont vous ignorez tout (on ne vous dévoilera aucune identité). Et quand, en plus, vous présentez une comédie, vos chances sont encore plus maigres. Pourquoi ? Si j’ai bien compris, les lecteurs des commissions misent davantage sur des films « sérieux ». Ah oui ? Passerais-je deux ans à écrire une comédie burlesque si le sujet ne me tenait pas viscéralement à coeur ?
Les guichets de financement du court métrage se comptent sur les doigts d’une seule main : les Régions, le CNC, les télévisions nationales et régionales. En conséquence, chaque avis négatif de comité de lecture fait mal.
A ce jour, Seven Bitches a reçu :
- un avis négatif de la Commission des Pays de La Loire. Avec des retours trop maigres pour être utiles à une ré-écriture.
- un PSR (un « Peut Se Représenter ») du CNC. Merci ! Merci ! Merci ! Ce PSR, accompagné de recommandations de ré-écriture, est une énorme seconde chance offerte.
La dernière version du dossier était donc une avant-dernière et, de toute évidence, pas la meilleure ni la vraiment définitive !
Je colle sur mon écran d’ordinateur cette photo de l’artiste américaine Miranda July au regard bleu acier révolver qui ne laisse pas la place à l’auto-apitoiement. Au boulot !
Journal de bord # 5 : mai 2021
Réécrire son scénario
Courant janvier 2021, Maël, mon producteur, et moi avons reçu un « Peut Se Représenter » de la part du CNC. Les retours sur le scénario m’ont beaucoup bousculée car je les trouvais pertinents. En tant qu’autrice, je dois bien évidemment tenir compte de ces avis si je veux représenter le dossier au CNC. Je reste libre d’effectuer les changements que je souhaite : petits, moyens, grands ou énormes. Dans tous les cas, ces changements doivent être justifiés dans une lettre de ré-écriture jointe au nouveau projet.
J’ai toujours été kamikaze dans mes choix de vie et professionnels. Je pensais m’être assagie arrivée à la cinquantaine. Que nenni !
J’ai dynamité ma version que je croyais parfaite.
Je suis partie très haut dans mes délires.
Je suis aussi descendue bien bas.
J’ai eu un énorme blanc. PANIQUE À BORD !
Mais au beau milieu de ce chaos que j’avais créé, Maël a toujours été présent, toujours à l’écoute. Je lui en suis infiniment reconnaissante.
Ma deuxième bouée de sauvetage s’appelle Arthur, un auteur avec lequel j’ai fait le Parcours d’auteur et qui connait bien le projet. Il est devenu mon script-docteur et m’a fait travailler autrement le projet. Décrire le cinéma à travers les yeux de Marilyn, raconter son parcours antérieur au film… Chemins de traverses pour creuser, faire surgir ce qui est essentiel pour moi dans ce projet.
Bien choisir son interlocuteur est très précieux car il est important d’être à découvert. De prendre le risque du ridicule. Il sera là pour vous aider à tirer de cette profusion d’idées des éléments récurrents et pertinents, des thèmes, un ton.
Et puis il y a eu Ingrid, une autrice réalisatrice qui, avec son franc parlé si précieux, m’a lâché entre deux gorgées de thé : « C’est quoi, la prémisse de ton film ? En une phrase. » OK… Allez Novel, c’est quoi ? En général, moins je réfléchis, plus ça vient du coeur et du corps, plus c’est juste : « A 50 ans, une actrice doit se battre pour avoir un rôle au cinéma ». Et Ingrid de me proposer une méthode qui, si elle n’est pas kamikaze, est quand même aussi radicale : « Tout ce qui ne répond pas à cette question, tu le dégages de ton scénario. » Wouah. Ça m’a été très utile. Il y a des paroles magiques qui font du bien. Après, bien sûr, j’ai un peu affiné 🙂
Aujourd’hui, j’ai en mains un scénario de 17 pages, les idées bien plus claires, de nouvelles envies artistiques. Un scénario, ce n’est pas un bloc de ciment. C’est du matériau vivant, il évolue avec vous. Le terreau est intime, mouvant. Mon sujet est toujours le même mais la manière de le dire a un peu changé. Sans doute l’époque que nous traversons a-t-elle laissée son empreinte sur le ton du film, plus mélancolique, mais certainement pas désabusé. Plutôt résolument optimiste.