A l’occasion de la diffusion de Splendeurs et illusions le 30 septembre sur France 3 Pays de la Loire, La Plateforme a proposé à son réalisateur Xavier Liébard de revenir sur le parcours de création de ce documentaire.
C’est dans le cadre du festival Premiers Plans que Xavier Liébard a entendu parler pour la première fois du Nouveau Théâtre Populaire. « Un festival formidable dans une petite commune du Maine et Loire » selon les dires de ses amis.
Le réalisateur s’est alors rendu sur place et y a découvert un théâtre avec une qualité de jeu impressionnante et une force collective qui l’a questionné. Intrigué, il y est retourné le lendemain. La pluie s’est mise à tomber alors que les comédiens jouaient Gargantua. « Les 150 spectateurs présents n’ont pas bougé, la pluie redoublait, les comédiens ont joué plus fort, la qualité de jeu est montée au fur et à mesure des intempéries ; à la fin, spectateurs et artistes étaient debout pour s’applaudir. J’étais submergé d’émotion ».
Conscient de l’audace de la troupe, Xavier Liébard a décidé de filmer ce nouveau Théâtre Populaire. « J’avais le sentiment de revenir au théâtre, c’était pour moi du grand théâtre, le meilleur que je n’avais jamais vu ».
Présentez-nous cette troupe de théâtre avec laquelle vous avez collaboré pendant presque 4 ans ?
Le Nouveau Théâtre Populaire, c’est un collectif de comédiens qui avait envie d’inventer un théâtre qui leur ressemble, un théâtre plus libre et plus proche du public. Alors ils ont construit un plateau de bois dans le jardin de la grand-mère de l’un d’entre eux. Ils se sont installés dans un petit village du Maine et Loire, à Fontaine Guérin (à 40 kilomètres à l’ouest d’Angers).
Une fois par an, ils montent leurs pièces dans ce jardin pendant 25 jours et les jouent dans la foulée lors de leur festival qui commence mi-août. Le NTP (Nouveau Théâtre Populaire) ne leur prend que 4 à 5 mois dans l’année, c’est ce qui fait que le collectif a une force si particulière. Ils ne dépendent pas de ce festival, ils ont des belles carrières par ailleurs, (à Paris ou en région) mais c’est sans doute le théâtre auquel ils tiennent le plus, car il est libre.
Comment se sont nouées les relations avec la troupe de théâtre ?
Suite à la découverte de cette troupe en 2016, j’ai discuté avec les comédiens. Deux d’entre eux m’ont demandé de réaliser une vidéo dans laquelle je m’adressais à tout le monde afin de respecter le collectif.
J’ai donc travaillé sur cette vidéo qui a été vue par l’ensemble du groupe, et dans laquelle je présentais l’ensemble du projet pendant 2 ans et demi environ : j’avais planifié de partager une édition à leurs côtés, pendant un mois en 2017 sans caméra, de tourner en 2018 et de monter en 2019. C’était un engagement assez fort pour moi puisque je n’avais, à l’époque, aucun financement. Ils ont voté oui à l’unanimité ! Et ce oui a été mon Sésame.
La période d’immersion a été très importante pour créer un climat de confiance mais également pour découvrir les limites de la troupe. Je me suis promis de ne jamais interférer dans leurs mises en scène, dans leurs actions. Je ne voulais pas les influencer, je voulais rester discret et ne pas trop parler (ce qui n’est pas dans ma nature – rires).
Comment le film est-il financé ?
Nous n’avions qu’une seule année avec mon producteur Mael Cabaret des 48° Rugissants, pour trouver un financement important. Après 3 mois d’écriture, j’ai déposé le dossier en aide développement en Pays de la Loire, mais sans succès. Le comité a jugé que le projet n’était pas assez écrit. Je déposé le même dossier en Bretagne, et nous avons obtenu l’aide, ils l’ont tout de suite bien aimé. Je trouvais intéressant de travailler sur deux régions, et c’était une bonne idée sur une échéance courte, car sans cela nous ne serions jamais parvenus à financer mon film à temps. Suite à cela, je suis passé directement en production et en réécriture pendant 2 mois, car je ne pouvais plus me permettre d’attendre une autre année de festival. Nous avons représenté le projet réécrit avec Mael en avril aux deux régions ; cette fois-ci, la Région Pays de la Loire a retenu le dossier et l’a bien aimé, contrairement à la région Bretagne qui l’a trouvé moins intéressant (comme quoi on ne sait jamais trop à l’avance) .
Évidemment, le soutien de France 3 Pays de la Loire, par la personne d’Olivier Brumelot, qui a été emballé par la dimension collective du film, a été décisif. Ça été un feu vert donné au film. Il a une grande sensibilité et une exigence sur la construction des films qui a vraiment bénéficié au film. Mael Cabaret m’a également accordé une grande confiance car il m’a suivi jusqu’au bout malgré des financements très serrés et des problèmes de santé personnels. Il a su prendre des risques où moment où il fallait en prendre et ce n’était vraiment pas facile.
Quel matériel avez-vous utilisé ?
Pour les premiers travellings, nous avons travaillé avec un Osmo, ce qui était intéressant mais un peu compliqué sur les panneaux latéraux. C’est une caméra appareil photo avec une sorte de mini steadicam. C’est Nicolas Contant le chef opérateur du film qui était aux manettes ; il avait construit un siège en bois et s’est simplement installé sur la galerie de mon break familial, bien sanglé, on a fait ça un peu à l’arrache (rires) mais cela rend bien, je suis très content des plans d’arrivées dans le village qui sont très beaux. Nous avons filmé ensuite tous les lieux de tournage vides pendant une journée, car la troupe nous avait confié les clés de la maison. Nous avons surtout rééclairé tous les intérieurs et extérieurs avec des petites sources, des guirlandes dans les arbres et les lieux de vie pour préparer la lumière du film, c’était passionnant et très excitant.
Nicolas Contant en travelling film sur le break familial du réalisateur avec sa chaise galerie construite spécialement pour le film
Sinon, nous avons tourné avec la caméra Sony FS7, qui est une caméra formidable pour du documentaire. Personnellement, je l’ai trouvée compliquée en termes d’ergonomie car un peu longue à monter et déséquilibrée sur les portés épaules. Je suis plus opérateur que chef opérateur et je préférais à titre personnel la FS5 plus simple au tournage. Cette caméra est plus chère que la FS5 mais avec un piqué d’image et image très douce, elle est très intéressante, c’est une magnifique caméra de documentaire que je conseille vraiment, le DCP final est vraiment beau.
J’ai cadré 6 de mes films, mais je connais mes limites, j’ai dû cadrer un bonne moitié du film. J’ai peu de compétences en lumière et sur les portés épaules en manuel. Comme nous avions un financement correct, j’ai pu demandé à Nicolas Contant et Julien Bossé (qui est venu en relais à la fin) d’assumer des portés épaules avec des gros enjeux de narration. Je suis extrêmement content de leur travail car ils ont fait des choix qui étaient brillantissimes, ils sont excellents. La difficulté pour nous réalisateur, c’est que comme nous avons des budgets serrés, engager un chef opérateur sur tout le film peut diviser le nombre de jours de tournage par deux. Filmer seulement 10 jours avec un chef opérateur encourage les interviews longs et les mises en scène et je ne voulais pas de ça. En fait, on n’évoque pas assez à quel point les questions de finances influent sur les modes d’écriture. Pour nous réalisateur la pression est de plus en plus forte sur le tournage, car les jours diminuent comme peau de chagrin année après année et nous portons cette pression en tournant davantage seul. C’est sans doute une fausse piste, mais les conditions de production nous pousse vers cela.
Concernant le son, je travaille avec le même ingénieur du son depuis deux films maintenant : Arnaud Marten. Il apporte un niveau d’exigence beaucoup plus fort que pour mes films précédents et à la capacité de s’adapter à la fois financièrement et techniquement au film qui lui est proposé. Nous montons des formations ensemble en Algérie où nous partageons nos pratiques sur le documentaire et le son devany des professionnels algériens, nous nous comprenons à demi-mot, c’est très précieux.
Lors de ce tournage, nous avons travaillé avec des dispositifs à 5 ou 6 micros sur la partie représentation théâtrale. Arnaud avait un Sound device 633, une mixette qui permet d’enregistrer séparément toutes les pistes audios. Tous les plans du documentaire ont été perchés. Même ceux qui pouvaient paraître anodins, quotidiens. Au montage nous avions une grande latitude, car les plans étaient beaux en image et en son, ils pouvaient monter partout, créer des aérations des respirations. Le risque pour un réalisateur de documentaire c’est de vouloir filmer seul et de se retrouver avec une matière surabondante en image et un son mauvais.
Lorsque je suis arrivé au montage j’avais une belle matière sonore.
J’ai travaillé au montage sur les pistes séparées à chaque fois que j’ai pu, cela apporte une qualité cinéma très forte au documentaire qui s’approche de la fiction. Je crois que je suis de plus en plus sensible au son. Depuis quelques années, je prépare le montage son moi-même avant d’attaquer le mixage. Bonheur de retrouver Thierry Compain au mixage à la filière de France 3 qui comprend ce niveau d’exigence.
Le montage a été fait avec Katia Manceau qui est une formidable monteuse, j’avais une matière abondante car nous avons filmé les pièces 3 ou 4 fois et elles faisaient 2 heures en moyenne. Mais j’avais une idée très précise de là où je voulais aller. J’avais l’impression qu’elle habitait dans ma tête tant ses propositions étaient précises et justes.
Il y a également un plan séquence en pellicule dans le film, comment s’est-il déroulé?
Pendant le tournage, Claire Sermone une des comédiennes a proposé à la troupe de faire un plan séquence en pellicule de 10 minutes qui complétait une des pièces du soir. Un chef opérateur extérieur, Paul-Anthony Mille est venu avec une vieille caméra super 16 mm et un steady cam et j’ai envoyé mon ingénieur du son Arnaud Marten dans le plan pour faire le son de la fiction et de mon doc. Nous avons trouvé le tournage en super 16 mm très risqué car il n’y avait qu’une seule prise pour des questions de coût de laboratoire ; cette prise a nécessité 4h de tournage et prenait beaucoup sur les répétitions. Néanmoins, c’était une bonne idée car la pellicule rejoint cette question de l’éphémère. Tous les comédiens portent une immense envie de cinéma et beaucoup d’entre eux se sont lancés dans des carrières d’acteurs et commencent à être bien repérés. En sortant ainsi un petit peu du théâtre, je voulais montrer à quel point ce festival est un laboratoire. A l’image de Claire, chacun lance ses expériences et c’est tout un groupe qui suit derrière, avec un esprit d’audace que seul un groupe peut se permettre.
Aujourd’hui, le tournage est terminé ; avec du recul, qu’avez-vous retenu de ce tournage?
Je me rends compte aujourd’hui avec une certaine expérience que j’ai besoin de moins tourner mais ici le sujet était très fort. Le travail d’immersion fait en amont et les 5 mois d’écriture ont été primordiaux car ils m’ont permis d’être extrêmement à l’aise avec le groupe, de les suivre partout puis de faire des choix forts à l’écriture. La confiance s’est installée comme si je faisais partie de la troupe.
L’un des avantages dont je me rends compte aujourd’hui, c’est le fait d’avoir tourné pendant 20 jours dans un microcosme. Tout se passait dans un endroit extrêmement restreint, cela ne demandait pas beaucoup de déplacement, les choses venaient à nous toutes seules, car le groupe faisait le film avec nous.
« Filmer collectif » a été compliqué, et peut parfois être anti-dramatique. Souvent, les réalisateurs sont poussés à raconter l’histoires d’un personnage ; ici, il s’agit de l’histoire d’un groupe. Peut-être le film manque-t-il de tension mais j’avais besoin de respecter le collectif et selon moi, on peut retrouver cette tension dans la partie théâtrale portée par Lucien de Rumbempré.
Qu’avez-vous voulu raconter à travers ce documentaire ?
Je voulais faire un film sur la force du groupe sur la fragilité de l’acteur du statut d’artiste, je pense que cet équilibre était difficile à trouver. Je voulais montrer que l’équilibre d’un groupe dépend de toutes ses composantes. Si un seul manque à l’appel tout l’édifice s’écroule et au théâtre c’est très vrai. Ce que les gens me renvoient le plus après une projection, c’est l’impression d’être extrêmement proche des acteurs, d’être plongé dans leur univers. Mon rêve avec ce film c’est qu’ils comprennent davantage la fragilité et les forces des artistes.
Retrouvez le replay France 3 Pays de la Loire ici.
Propos recueillis par Molène Perrotte, volontaire en service civique à La Plateforme