Entretien avec Justine Harbonnier, Autrice-Réalisatrice du long métrage documentaire « Caiti Blues » qui a été sélectionné pour l’ACID au Festival de Cannes 2023 !
L’association du cinéma indépendant pour sa diffusion (L’ACID) défend des films originaux et offre une vitrine aux jeunes talents. Elle a révélé des cinéastes aujourd’hui renommés, comme Justine Triet, Mathieu Amalric, Lucas Belvaux ou Kaouther Ben Hania. L’ACID fête, cette année, son 30e anniversaire de présence sur la Croisette.
Biographie de Justine Harbonnier :
À la fin de ses études en littérature, Justine réalise ses premiers courts métrages de manière indépendante. Diffusés dans de nombreux festivals et centres d’art, ses films explorent les thèmes de la quête de soi (Il y a un ciel magnifique et tu filmes Angèle Bertrand, 2014) et de la transformation sociale d’un territoire (Andrew Keegan déménage, 2016). Son premier long-métrage Caiti Blues (2023) continue d’explorer ces réflexions. Alors qu’elle finalise actuellement le court-métrage Les Enfants vont bien, son second long-métrage La Simulation se tournera l’année prochaine
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Caiti Blues – Synopsis :
Caiti Lord a une voix magnifique qu’elle compte bien utiliser pour faire autre chose que vendre des cherry cocktails. Tandis que la folie s’empare des États-Unis, dans l’absurdité la plus inquiétante, Caiti éprouve un sentiment d’asphyxie grandissant. Alors, Caiti chante. Un blues.
- Découvrez les 9 longs métrages de la programmation ACID Cannes 2023 :
www.lacid.org/fr/cannes/programmation-acid-cannes-2023
- Voir la bande-annonce :
Filmographie :
- Il y a un ciel magnifique et tu filmes Angèle Bertrand (2014)
- Andrew Keegan déménage (2016)
- Caiti Blues (2023)
- La Simulation (en production)
- Les Enfants vont bien (en production)
Pourquoi avoir choisi le métier de réalisation et quel est votre parcours professionnel ?
Caiti Blues est votre premier long-métrage documentaire produit. Pourriez-vous nous raconter la genèse et le parcours du film ?
Le désir de ce film est né au moment de l’élection de Trump, et au début d’une période de désenchantement vécue par Caiti, mon personnage, amie de longue date. Sa désillusion, son blues, résonnait avec ma propre expérience, mais aussi avec beaucoup de personnes qui m’entouraient, mes ami.e.s. Caiti Blues tente de faire le lien entre les bouleversements intimes d’une jeune femme et ceux, politiques et sociaux, qui ont traversé les États-Unis. Mais la politique reste une toile de fond et le film est avant tout porté par Caiti, ses doutes existentiels et son désir de chanter. J’ai rencontré tôt dans le développement du film, Julie Paratian, ma productrice en France, qui s’est tout de suite montrée enthousiaste pour le projet. Puis Nellie Carrier, ma productrice côté Canada, s’est jointe à nous. J’ai vécu près de 8 ans à Montréal, et je continue d’ailleurs d’y vivre et d’y travailler. Il était important pour moi que le film ait un ancrage et une vision
nord-américaine. Il n’y a pas au Canada le même rapport un peu fantasmé que la France a parfois vis à vis des États-Unis. C’est également un film qui s’est fait avec une équipe presque entièrement féminine, entre trois pays, cela a été une aventure humaine et professionnelle incroyablement enrichissante pour moi.
Que représente pour vous cette sélection cannoise ?
C’est une immense chance ! La sélection des films de l’ACID est une programmation que je regarde chaque année avec intérêt. Je me sens proche des valeurs que l’association défend pour la diffusion du cinéma. Je suis très heureuse aussi pour mon équipe, pour Caiti. Elle va venir sur la Croisette, dans sa robe à paillettes (j’espère !) et cela va permettre de donner une belle visibilité au film.
J’ai été à Cannes déjà l’année dernière car Caiti Blues avait été sélectionné pour participer au programme de pitchs du Cannes docs. Je sais donc un peu plus à quoi m’attendre… D’ailleurs, le film est aussi programmé pour la clôture du Doc Day et il est prévu que Caiti fasse un petit concert.
Vous avez bénéficié de la formation Parcours d’Auteur·trice·s proposée par Le Pôle cinéma audiovisuel des Pays de la Loire – La Plateforme. Où en êtes-vous dans le projet intitulé « La Simulation » qui a obtenu non seulement la bourse « émergence Ville de Nantes » mais aussi la bourse Brouillon d’un rêve de la SCAM et l’aide à l’écriture de la SODEC (Québec) ? Qu’est-ce que cet accompagnement dans l’écriture filmique vous a apporté ?
Les résidences d’écriture, comme celle de La Plateforme, sont des moments privilégiés et malheureusement trop rares durant le développement d’un film. Ils sont essentiels pour asseoir la confiance en son projet, mais aussi rencontrer d’autres personnes qui partagent la même folie de vouloir un film. Cela prend tellement de temps ! Et La Simulation n’échappe pas à cette loi de la patience, mais le film devrait se tourner l’année prochaine.
Grâce à La Plateforme j’ai rencontré beaucoup de personnes qui m’ont aidée, j’ai aussi rencontré mes producteurs : Les 48e Rugissants et Spécial Touch Studios qui vont le produire côté France. Je viens également de trouver une productrice au Québec. Mais nous sommes encore à la recherche de financements.
L’exercice du métier correspond-t-il à vos attentes ? En tant que femme et cinéaste quel regard portez-vous sur la place des femmes dans l’industrie cinématographique ?
En tant que femme, je trouve encourageant de faire des films à l’époque dans laquelle on est. Il y a une vraie réflexion autour de ces questions. Certes, il reste beaucoup de combats à mener pour l’égalité, contre les violences, pour avoir le sentiment qu’on mérite notre place, mais de plus en plus d’initiatives existes. Des réalisatrices comme Alice Diop, en France, ou Kelly Reichardt, aux États-Unis, sont aussi pour moi des exemples qui donnent de l’espoir. La sororité et l’entraide, d’ailleurs pas seulement entre femmes, sont des puissants leviers pour faire changer les choses. Avec Caiti Blues, je me suis heurtée à beaucoup de préjugés. Par exemple, comme Caiti est assez ronde, on s’étonnait que ce ne soit pas le sujet du film (tellement cela ne va pas de soi de faire un film avec un personnage féminin au corps différent). L’idée aussi de faire un film documentaire centré sur l’intimité et les questionnements d’une jeune femme n’était pas évident, on sous-entendait beaucoup – et encore maintenant – que ce n’est pas très « sérieux », ni important comme sujet. Alice Zeniter a publié deux livres passionnants à ce propos, sur la question de la fabrication des héros et notre façon encore si formatée de concevoir des histoires (Je suis une fille sans histoire et Toute une moitié du monde). Selon moi, les cinéastes, pas uniquement les femmes, ont un rôle déterminant à jouer pour créer d’autres manières sensibles de représenter le monde. On a besoin de nouveaux récits, de nouvelles images, et je crois que cela va de pair avec la façon dont nous fabriquons les films. Cela va de pair avec l’organisation du travail, les rémunérations, les comportements… Oui, il y a encore du chemin à faire.
Quels sont vos projets professionnels ?
J’espère tourner mon prochain long-métrage documentaire La Simulation l’année prochaine. J’ai aussi deux projets de courts-métrages en cours : Les Enfants vont bien, je vais suivre ma mère pendant sa dernière année d’activité en tant qu’enseignante référente, à Nantes, auprès d’enfants en situation de handicap ; et un film plus expérimental, La Disparition (titre encore provisoire), qui comme mon dernier court-métrage (Andrew Keegan déménage) prend pour personnage principal une maison… Une maison dans laquelle je vivais et qui a été détruite.
Quels films vous ont marquéet influencé votre travail ? Des références anciennes ou un film que vous auriez vu récemment…
Agnès Varda a été mon premier « amour » de cinéma. J’ai vu presque tous ses films et elle m’a beaucoup inspirée, donné du courage et permis de me dire : je peux le faire. Je pense que cela tient à son rapport pluridisciplinaire à la création, elle a d’abord été photographe, puis cinéaste, plasticienne, elle est à la croisée de plusieurs médiums et je me sens proche de cette démarche. Un livre ou un tableau peuvent parfois influencer davantage mon travail qu’un film. Ainsi, pour Caiti Blues, cela a été un mélange de Georgia O’Keefe, Bukowski, la série télé Girls, ou encore Jim Jarmusch. En ce moment, pour La Simulation, je suis plus du côté de la sociologie, avec Michel et Monique Pinçon-Charlot, mais aussi de l’univers de Lynch et Buñuel.