Los conductos, du réalisateur colombien Camilo Restrepo, a reçu il y a quelques semaines le prix GWFF du meilleur premier long métrage à la Berlinale. La nantaise Cécile Plais y a participé comme assistante caméra. Retour sur l’aventure.
Quel est ton métier ?
Aujourd’hui, je suis principalement assistante caméra. J’ai commencé dans le domaine de la diffusion : par la régie copie, puis comme projectionniste en festivals, activité que j’exerce encore. Je me suis formée à la caméra à l’INA en 2004 via la formation continue, après une fac arts du spectacle à Rennes, période pendant laquelle j’ai aussi passé en candidate libre les CAP d’opératrice projectionniste et de photographe. Je voulais aller vers la prise de vue en documentaire, mais mon réseau de festivals m’a orientée vers la fiction, donc le plus souvent je travaille sur de la fiction : court métrage, long métrage, téléfilm. J’ai également une petite activité au cadre, principalement en captation de concerts et interviews.
Tu habitais Paris jusqu’en 2016. Qu’est-ce qui t’a amenée à Nantes ?
J’ai passé mon enfance à Brest mais j’ai toujours eu un lien avec la région nantaise. D’abord parce que mes grands-parents sont originaires du vignoble. Ensuite parce que lors de mes années estudiantines, je venais souvent à Nantes. J’ai beaucoup bougé entre la fin de la fac et mon installation à Paris, et voyagé au hasard de la vie et des opportunités. C’est ma formation à l’INA qui m’a fixée pour quelques années à Paris.
Avant même de venir vivre à Nantes, un de mes premiers liens professionnels avec la ville a été l’association Mire. Je m’intéressais au Super 8 et je savais qu’on y apprenait à développer du film. J’ai participé à une initiation, et quand je me suis installée à Nantes, je m’y suis impliquée, en particulier en participant à l’organisation du Festival Prisme et à la vie du labo. Et puis, très rapidement, je suis devenue la référente caméra au Docks du film. Bref, mon intégration a été très fluide, j’ai trouvé un réseau plus spontanément à Nantes qu’à Paris. J’aime Paris, mais quand tu quittes cette ville tu te rends compte combien c’est bien d’en partir !
Comment as-tu été embarquée sur le tournage de Los conductos ?
Quand j’habitais à Paris, j’étais impliquée dans L’Abominable, un laboratoire collectif parisien proche de ce que fait Mire en ce qui concerne la partie labo. C’est là que j’ai rencontré Guillaume Mazloum qui m’a proposé de travailler avec lui sur La Bouche, un court métrage de Camilo Restrepo. Il avait besoin de quelqu’un qui l’assiste à la caméra et il savait que c’était mon métier. Et c’est tout naturellement que Camilo nous a proposé de l’accompagner de nouveau sur Los conductos.
L’équipe que nous formons tous les trois s’est révélée très chouette, très fonctionnelle. Ce sont nos différences qui en font la richesse. Je dois par exemple désapprendre une partie de mes réflexes acquis dans l’industrie : le travail est très collectif, nous prenons les décisions à trois, c’est une vraie collaboration même si chacun assume les responsabilités liées à son poste. L’idée, c’est que chacun sorte de sa zone de confort et apporte ses compétences pour en faire une complémentarité qui engendre la force de l’équipe. C’est passionnant et stimulant, comme méthode de travail. Camilo refuse par exemple de me considérer comme assistante caméra ; au générique, je suis créditée de la simple mention « caméra ». Ce qui m’intéresse dans le cinéma expérimental, c’est aussi l’expérimentation sur la narration, en complément de celle sur la forme, sur le motif, qu’on y trouve souvent. Je me retrouve donc très bien dans le cinéma de Camilo.
On est parti avec 45 boites de 16 mm – ce qui représente environ 7 heures pellicule pour certaines périmées, dans la grande lignée du cinéma expé –, la Arri SR2 de Guillaume et la ACL de Camilo.
Dans mon activité professionnelle, je travaille bien évidemment aussi en numérique. Quand j’ai débuté en tournage, l’argentique était encore très présent, mêlé à la vidéo analogique sur bandes et le développement du numérique ; comme en diffusion cinéma d’ailleurs. Je reste attachée aux qualités du grain argentique pour sa texture vivante, organique : par exemple, une mise au point un peu molle peut y être très belle, alors qu’en numérique c’est tout de suite très laid. Mais du point de vue de mon métier, les pratiques restent les mêmes : il faut accessoiriser la caméra, faire les réglages, suivre les comédiens à l’œil dans l’espace pour évaluer les distances et les déplacements…
Que raconte Los conductos ?
Le film est basé sur l’histoire, vraie, de Pinky, un Colombien qui a été sous l’emprise d’une secte dans laquelle il y avait beaucoup de violence, sans que l’on sache exactement ce qui s’y est réellement passé. Pinky joue son propre rôle. Le film raconte sa vie d’après, comment il vit avec son désir de vengeance contre le Padre, le gourou de la secte, qu’il voudrait tuer. Pour le réalisateur, c’est une manière d’offrir à Pinky un sorte de catharsis en tuant le Padre dans une fiction. Le désir de ce film vient d’abord de l’amitié entre Pinky et Camilo.
Camilo oscille beaucoup entre fiction et documentaire, que ce soit sur la forme ou sur le fond. Il part d’une réalité, la transpose dans la fiction, et utilise les formes du documentaire et de la fiction dans sa réalisation. C’est là que se situe la forme expérimentale de Camilo, dans cette forme narrative pas du tout classique. Il y plusieurs régimes narratifs.
Comment s’est déroulé le tournage ?
On a beaucoup discuté des intentions avant le tournage : Camilo écrit beaucoup, on savait avant de partir tous les plans qu’on avait à tourner. On les a d’ailleurs quasiment tous tournés, et nous n’avons pratiquement rien tourné en plus. Ceux que l’on n’a pas pu tourner sur place l’ont été à Paris ! Camilo a les idées très claires sur ce qu’il veut tourner, la discussion porte principalement sur le comment : c’est là que l’équipe que nous formons intervient. On a eu de très bonnes surprises, notamment pour ce qui est un des derniers plans du film, qui est un vrai miracle de tournage.
Il a d’abord fallu s’adapter à la Colombie : on a tourné à Medellín, dans un quartier populaire avec tout ce que cela comporte : pauvreté, gang, etc. On était une toute petite équipe de 7 personnes : le réalisateur Camilo Restrepo, le chef opérateur Guillaume Mazloum, le co-producteur argentin, un électro colombien, un régisseur local, moi et Pinky, notre personnage. On a aussi été entouré par les personnes qui nous accueillaient sur le décor, et nous avons rencontré certains personnages en cours de tournage. On avait très peu de lumière, et pas de son (il n’y avait pas les moyens !), si ce n’est un zoom H4 qu’on a utilisé sur quelques séquences. Ce film a donc été tourné muet, et tout a été recréé en post-production. Le résultat fonctionne très bien, c’est très intéressant plastiquement et narrativement, et ce choix participe aussi beaucoup aux qualités du film.
La relation avec le protagoniste a été très étroite : il était fasciné par ce qu’il appelait le « ballet de la caméra », on a vraiment travaillé ensemble.
Bien que ce soit un film avec une proposition très forte, la volonté de Camilo n’est pas de rester dans l’entre-soi mais de faire un film ouvert. Au fur et mesure du montage, le film est devenu de plus en plus limpide, la narration de plus en plus claire. C’est un film que je trouve très accessible.
Comment se vit d’être invitée à un festival aussi important que la Berlinale ?
Ça m’a changé : d’habitude, dans les festivals, je suis dans les cabines ! Le plus grand plaisir, c’est de voir le film dans d’excellentes conditions : la projection était vraiment de très bonne qualité. J’ai aussi pu mieux connaître l’équipe du son, que je n’avais pas encore vraiment rencontrée, ainsi que les différents co-producteurs.
Et j’ai pu voir beaucoup de films, de qualité variables. Les plus intéressants étaient ceux qui font un pas de côté par rapport aux esthétiques et aux narrations habituelles. Pour les autres, plus classiques, j’ai souvent été déçue.
Quels sont tes projets ?
La période de confinement n’est pas favorable à la mise en place de projets : je n’ai pas de boulot prévu pour l’instant. Alors je travaille sur des projets personnels. Mais si j’ai déjà co-réalisé un film Le Jardin d’Emerveille avec Widy Marché, ces projets ne sont pas encore mûrs. On verra pour la suite… J’ai aussi quelques pistes en assistanat sur des projets avec des producteurs de Nantes, mais rien n’est encore fait. J’aimerais aussi redévelopper, à plus long terme, une activité en prise de vue.
Mon réseau est surtout hors Paris, ce qui est paradoxal pour quelqu’un qui y a vécu longtemps : j’ai fait de gros effort pour développer ce réseau-là. C’est mon côté électron libre. Je préfère travailler sur des projets un peu éloignés de l’industrie, souvent plus intéressants, plus variés. Ce sont ces films qui donnent du sens à mon métier. Mais je continue à travailler sur des films plus classiques, car ça reste techniquement et professionnellement intéressant.
En ce qui concerne Los conductos, le film a un vendeur pour l’Europe mais pas encore de distributeur en France. Le prix devrait l’aider à sortir en salles, d’autant plus qu’avant même de l’obtenir, le film avait déjà bénéficié d’un grand intérêt de la part de la presse. Et Camilo m’a déjà prévenue qu’il aimerait tourner son prochain film avec la même équipe !
Pour aller plus loin :
Site internet du réalisateur et dossier de presse : ici.
Los conductos sur le site de la Berlinale : là.
Et la bande-annonce.