Portraits d’exploitants
COUP DUR SUR PROJECTEUR
Depuis peu à la retraite de la Scène nationale, Sylvette Magne assure encore à mi-temps la programmation du cinéma le Jacques Tati à Saint-Nazaire. En 1997, cette autodidacte, alors secrétaire générale de la Scène nationale, assiste à une réunion où est envisagée la fin de l’activité du cinéma d’Art et d’Essai suite au départ du programmateur. Plus personne à bord ? Elle réagit aussitôt. « Je veux bien le faire ». Ce cri du cœur l’embarque aussitôt aux commandes du cinéma. Vingt ans plus tard, le Jacques Tati doit de nouveau affronter un « stop ou encore ». Il se maintiendra finalement mais sans perspective d’évolution de sa condition, presque obsolète, de mono-écran. Une décision récente qui a eu raison de la motivation de la programmatrice.
Il n’y aura pas de happy end. Sylvette Magne était pourtant confiante. La programmatrice du Jacques Tati pensait quitter sa fonction avec de belles perspectives pour le cinéma qu’elle défend depuis 20 ans. Mais finalement la mairie PS a renoncé au projet d’un cinéma d’Art et d’Essai équipé de trois salles. Le provisoire va perdurer et le Jacques Tati restera un cinéma mono-écran hébergé au sein de la maison des associations de Saint-Nazaire. « J’ai peur que ce ne soit mis dans les cartons pour toujours. C’est très décevant, ce n’est pas motivant. Il n’y a plus de projet à développer ». Rétrospectivement, on se dit que l’équipe du cinéma a plus que bien fait de se battre pour défendre sa place dans le paysage culturel de Saint-Nazaire. Car aujourd’hui dans le domaine de l’Art et Essai, l’offre locale aurait bien pu être nulle. Tout ça nécessite des éléments d’explication et un retour dans un passé récent.
En janvier 2016, l’équipe municipale de Saint-Nazaire annonce qu’elle va récupérer les locaux qu’elle prête au cinéma Jacques Tati depuis 1973. L’écran doit faire place à des logements. Une quarantaine au total. « On savait qu’à terme, ça allait se passer, mais là, c’était très rapide », explique Sylvette Magne. Depuis son ouverture, la salle a déjà connu plusieurs vies (cf en bas de page Ainsi vît le Jacques Tati). Dans un premier temps, la Ville fait savoir qu’elle entend bien assurer de nouveaux locaux au cinéma mais pas avant trois à quatre ans. « Comme le personnel politique ça change aussi, on n’était pas du tout en mesure de savoir ce qu’il en aurait été de ce projet dans quatre ans », explique la programmatrice. « Surtout, on ne pouvait pas rester autant d’années sans programmation cinéma Art et Essai. On n’aurait jamais repris. Si vous arrêtez quelque chose pendant quatre ans les gens se débrouillent autrement. Je trouvais que c’était vraiment du gâchis de devoir tout recommencer et d’avoir à rechercher le public ».
Sylvette Magne, programmatrice du Jacques Tati.
En janvier 2016, la municipalité annonçait qu’elle allait récupérer les locaux que le cinéma occupe depuis 1973.
Ces derniers, voués à la destruction, laisseront place à une quarantaine de logements.
QUAND LA MOBILISATION PAYAIT
La crainte était donc forte d’ajouter un quatrième nom à la liste des cinémas que Saint-Nazaire a vu fermer en 15 ans. Une période qui coïncide avec l’arrivée du multiplexe Cinéville. Afin de défendre la nécessité pour une ville de 70 000 habitants d’avoir sa salle Art et Essai, une pétition circule à l’initiative du Collectif Lemoine, composé de Nazairiens fréquentant le cinéma. Elle recueille vite 3 000 signatures, et sur un plan politique, presque autant d’électeurs potentiels car elle est très suivie localement. À cela s’ajoute une lettre ouverte de soutien rédigée par l’association de cinéphiles Version Originale et signée par des réalisateurs, des critiques de cinéma et des universitaires venus intervenir dans la salle. GNCR, AFCAE, ACOR, SCALA, les réseaux se mobilisent autour de cette affaire. Et ça paye. La Ville fait rapidement marche arrière. « Certains membres de l’équipe municipale étaient persuadés que le cinéma Art et Essai, c’était dix vieux profs qui venaient pour se faire plaisir et que cela ne concernait pas grand monde. L’ampleur de la mobilisation les a fait réfléchir. (…) Quand le maire, David Samzun, a commencé à se faire interpeler sur la question du cinéma, y compris quand il allait assister aux matchs de rugby, il s’est vraiment intéressé à la question et finalement laissé convaincre ». Et, dès mars, une solution est trouvée.
Le 28 septembre 2016, le cinéma déménage au sein de la maison des associations de Saint-Nazaire, Agora 1901, dans une salle qui porte le nom du poète René-Guy Cadou. La Ville engage 180 000 euros pour transformer un lieu dédié à de rares assemblées générales et conférences en salle de cinéma de 151 places. Pose d’un gradin, nouveaux fauteuils, installation des projecteurs dans la régie, traitement acoustique, la séance peut reprendre. Fin du déménagement et réel début de cette période que l’équipe du cinéma n’envisage alors pas autrement que comme une transition. Pour l’année 2016, la fréquentation annuelle du cinéma poursuit sa croissance et atteint 25 000 spectateurs. La mobilisation autour de l’avenir du cinéma a eu aussi une incidence sur sa fréquentation. « Il y a eu un retour du public mais aussi la venue de personnes qu’on ne connaissait pas ».
Fort de son ancrage dans l’offre culturelle locale, la Scène nationale avait donc un projet pour son cinéma. La création d’un cinéma d’Art et d’Essai doté de plusieurs salles semblait rejoindre le projet de redynamisation du centre-ville. Pour déterminer l’opportunité d’une construction neuve accueillant l’activité d’un cinéma doté de trois salles, la société Hexacom s’est vu confier cette étude. Hexacom est l’un des deux cabinets spécialisés en France dans les domaines de l’exploitation et de la diffusion cinématographique.
En septembre 2016, le Cinéma Jacques Tati était transféré provisoirement vers la maison des associations (Agora)
pour débuter la destruction de l’ex-Fanal (photo précédente). Le 10 janvier 2017, la ville annonçait qu’il serait maintenu
à cette adresse.
Les contraintes du mono-écran
En novembre dernier, alors en attente de cette réponse et du verdict de la mairie, Sylvette Magne expliquait : « Aujourd’hui, les gens sont contents parce que la salle à Agora est plus confortable que celle que nous avions avant dans les locaux de l’ex-Fanal. Mais ce n’est pas suffisant parce qu’il n’y a toujours qu’un seul écran. Il devient vraiment nécessaire d’avoir au minimum deux salles, voire trois, pour pouvoir travailler correctement. Il y a de plus en plus de films qui sortent (entre 15 et 20 par semaine) et nous ne pouvons pas les montrer ou alors ce sont des fenêtres insuffisantes pour que ces films aient une vie ».
Beaucoup de salles associatives, notamment le Gen’eric à Héric (cf article précédent de cette série), sont programmées dans le cadre d’une entente qui englobe des dizaines de salles. Mais pour une structure qui travaille en solo, c’est inenvisageable d’accueillir en première semaine un film Art et Essai porteur comme un Woody Allen, un Ken Loach ou un Pedro Almodovar. Les conditions imposées par les grands distributeurs sont trop lourdes : maintenir le film quatre semaines à l’affiche, le diffuser tous les jours, à toutes les séances, etc. « Avec une seule salle, tout ça, c’est impossible pour nous. On ne peut s’engager sur rien du tout ».
Chaque dimanche et mardi soir, les exploitants qui le souhaitent peuvent publier leurs chiffres de fréquentation sur le site Rentrak. La consultation de ce site permet de mesurer l’impact des films. Sylvette Magne peut ainsi estimer l’opportunité ou non de programmer un film déjà diffusé par Cinéville. « Si le film fait 2 000 entrées à Cinéville, il n’y a aucun intérêt pour nous à le reprendre. Mais quand je vois que Toni Erdmann a fait 89 entrées, là, je me dis qu’il y a quelque chose à faire. »
Avec davantage de salles, le cinéma aurait certainement eu un poids plus important lors de ses négociations avec les distributeurs. « Il n’y a pas de secret, même si nous sommes dans une structure qui est subventionnée, avec un budget intégré au budget général de la Scène nationale, l’activité est déficitaire. Donc, si nous avions, de temps en temps, un film porteur qui ramène plus de public, ça permettrait aussi d’avoir une économie meilleure sur l’activité ». Avec trois salles, le cinéma aurait pu accueillir une demande croissante de séances scolaires tout en assurant des projections tout public.
LA NECESSITE D’ESPACES CONVIVIAUX
Depuis, la municipalité a tranché, le Jacques Tati ne sera pas voué à un autre horizon. L’étude Hexacom, qui n’a pas été rendue publique, préconisait cependant la construction de trois salles Art et Essai. Dans le domaine culturel, la Ville a souhaité soutenir le projet d’extension du Conservatoire. D’ici 2020, il sera doté d’un auditorium de 250 places et d’un nouveau conservatoire de danse. Le coût des travaux s’élève à 8 millions d’euros. Pour le projet du cinéma, il manquait 1,5 millions. « Difficile de choisir entre deux bons projets », a argumenté la mairie auprès de l’équipe du Jacques Tati. « Il n’y a sans doute pas de réelle de volonté pour ce cinéma », estime Sylvette Magne qui quittera le cinéma fin décembre sur cette note un peu amère. « La décision de rendre la solution provisoire à Agora pérenne, m’a coupé les jambes. Je n’ai plus envie ». Ce n’est pas faute d’avoir mené un travail de pédagogie auprès des élus locaux et notamment de l’adjoint à la culture, Jean-Jacques Lumeau. Sylvette Magne l’a emmené en 2016 avec elle dans une mini-tournée en Loire-Atlantique avec pour étapes les 400 coups à Angers mais aussi le Concorde à Nantes. Là, le directeur du cinéma, Sylvain Clochard, entre en scène. Pendant deux heures et demie, il explique pourquoi un cinéma, pour exister, se doit d’avoir plusieurs salles, argumente, donne des chiffres. L’élu est convaincu. « C’est vrai qu’il se démène. C’est lui qui a eu l’idée du lieu où nous sommes actuellement. Je ne sais pas, sinon, si on aurait encore une activité », se demandait il y a quelques mois Sylvette Magne. « Et je pense qu’il défend aussi l’idée qu’on puisse toujours aller dans un nouveau lieu dans quelques années en centre-ville. » Quel que soit son engagement, ça n’a pas suffit.
L’un des principaux regrets porte sur l’espace de convivialité. Ce type d’espace était un point incontournable du projet que défendait l’équipe du Jacques Tati. « Maintenant tous les cinémas qui s’ouvrent pensent à ça. C’est hyper important. C’est un des atouts si on veut poursuivre les soirées et si on veut que les gens puissent attendre dans des bonnes conditions ». Un vendredi par mois, l’équipe du cinéma organise un ciné-café avec une association de soignants-soignés en psychiatrie, La Couronnée, mais aussi avec le service aux personnes âgées du CCAS. Cette séance est ouverte à tout public. « Après la séance, on se met autour d’une table, on boit un café, un thé, et on discute du film. De la même façon, nous proposons un goûter après toutes les séances cinémômes. Dans l’ancien lieu, c‘était vraiment très agréable. Là, c’est un peu plus compliqué. Le bar étant accessible à toutes les associations de la maison des associations, il faut réserver à l’avance et la disponibilité n’est pas assurée. C’est moins sympa et moins grand aussi. »
Sylvette Magne quitte le cinéma avant de connaître un quatrième directeur de la Scène nationale. Déçue par la décision de l’équipe municipale mais aussi par ce qu’elle estime être une « non prise en compte » de la nécessité d’une diversité de l’offre cinématographique sur Saint-Nazaire. « Cinéville fait son travail en programmant tous les blockbusters mais n’offre qu’une petite fenêtre Art et Essai. Nous avons donc toute notre place ». Pour satisfaire son appétit de films Art et Essai, elle fait, avec plaisir, 40 km pour aller au cinéma Atlantic à la Turballe ou au Pax au Pouliguen. Autant de « copains », eux aussi inclus dans le réseau Scala, sur lesquels elle compte pour défendre une offre de cinéma d’Art et d’Essai à l’échelle de la presqu’île.
Alexandre Duval
Petite histoire du Jacques Tati
Ainsi vit le Jacques Tati
À Saint-Nazaire, quelle que soit la structure gestionnaire du lieu, le cinéma versé dans l’Art et Essai a eu pour nom le Jacques Tati. « On a absolument voulu garder ce nom », précise Sylvette Magne, qui en est la programmatrice depuis 1997. Les structures gérantes évoluent mais l’emplacement reste le même, boulevard Victor Hugo. À ses débuts, dans les années 70, la première exploitation du Jacques Tati est menée par la MJEP (maison des jeunes et de l’éducation permanente) qui propose des projections de type ciné-club. De 1984 à 1991, le centre culturel, en préfiguration de l’activité de la Scène nationale, en devient la structure gestionnaire. En 1992, ce centre est bel et bien labellisé Scène nationale et prend en 1999 le nom de Fanal. Une semaine par mois ou tous les mois et demie, un cycle thématique est programmé. En 2009, avec l’arrivée de la nouvelle direction, la Scène nationale déménage près du port et prend le nom de Théâtre. Le cinéma reste lui dans ses locaux originels et propose une programmation hebdomadaire (6 jours sur 7) et obtient les labels Art et Essai, Patrimoine, Jeune Public et Recherche. En septembre 2016, obligé de quitter les lieux à la demande de la mairie, le cinéma est hébergé de manière pas si provisoire que prévue dans le bâtiment de la maison des associations de Saint-Nazaire, Agora 1901.
Identité du Jacques Tati
Cinéma : Jacques Tati
Directeur : Nadine Varoutsikos-Perez
Programmatrice : Sylvette Magne
Sur le web : letheatre-saintnazaire.fr
Contact : Sylvette Magne – sylvette.magne@letheatre-saintnazaire.fr
Adresse : Cinéma Jacques Tati – 2, bis rue Albert de Mun – BP 150 – 44 603 Saint-Nazaire cedex
Labels : recherche et découverte, patrimoine et jeune public / Classement : Art et Essai
Fréquentation en 2016 : 27 835 entrées
Nombre de films programmés à l’année : entre 350 et 390
Tarifs pratiqués : de 3,50 € à 6,50 €
Réseaux : GNCR, ACOR, AFCAE, ACID, Agence du court métrage, SCALA
Les événements phares du cinéma : Festival Télérama en janvier, semaine du cinéma scandinave Grands froids en février, Festival PlayTime (SCALA) en avril, Festival Zones Portuaires en juin, reprise de la Quinzaine des réalisateurs de Cannes en septembre, décentralisation du Festival des 3 Continents en novembre.
Les trois meilleurs films en 2016 : Voyage au Groenland de Sébastien Betbeder, Dead slow ahead de Mauro Herce, Fuocoammare de Gianfranco Rossi, Volta a terra de Joao Pedro Placido
et pour le jeune public : Ma vie de Courgette de Claude Barras
Le premier film programmé par le Jacques Tati : Sacré Graal des Monty Python
Retrouvez les portraits de cette série :
- David Batard du Gén’éric à Héric ;
- Emmanuel Gibouleau, du Cinématographe à Nantes ;
- Sylvain Clochard, directeur du Concorde de Nantes ;
- Didier Anne et Gautier Labrusse du cinéma Le Lux à Caen.