Portraits d’exploitants
LE CINÉMA COMME EXPÉRIENCE, LE LOCAL POUR ANCRAGE
Le Congrès de la Fédération Nationale des Cinémas Français réunit tous les ans à Deauville les exploitants. Lors de cette dernière édition, une petite structure ligérienne s’est fait remarquer pour son initiative auprès du public. Au quotidien, le cinéma Le Gén’éric démontre avec succès que la dimension humaine est indissociable de l’identité et de l’évolution de l’exploitation cinématographique indépendante. Rencontre à Héric avec son directeur, David Batard, au moment où l’association se lance dans un ambitieux projet de rénovation et d’agrandissement des lieux.
L’étincelle est venue d’un proche. Un amoureux du cinéma doué du talent de passeur qui a pris le temps de l’inviter à une séance, de l’accompagner, de lui transmettre son enthousiasme et de lui expliquer l’histoire et les codes de cet art. Une initiation. David Batard prend alors l’ampleur de ce que peut faire le cinéma. L’habitude s’ancre grâce à un facteur favorable d’ordre économique. « Je suis devenu cinéphile quand j’ai pu avoir un accès au cinéma à des tarifs abordables », se rappelle-t-il. « Ça avait commencé avec l’Apollo qui proposait des entrées à 10 francs en centre-ville de Nantes ». Chassé-croisé. S’il s’est depuis éloigné du centre de la métropole, David Batard, aujourd’hui âgé de 37 ans, s’est rapproché encore davantage du cinéma en s’impliquant à partir de 2005 en tant que bénévole dans la vie du Gén’éric. Là, les deux présidents qu’ils côtoient successivement, Charles Roger et Yves Ridel vont lui donner le goût de l’exploitation cinématographique. Une dizaine d’années plus tard, l’ancien électrotechnicien se reconvertit et suit durant une année une formation dans le cadre du cursus d’exploitant proposé par la FEMIS. En décembre 2015, il devient directeur du cinéma associatif.
Une implantation emblÉmatique
Héric, son clocher et puis sa salle de cinéma. Depuis 1907, les deux histoires sont liées puisque comme dans beaucoup de communes de l’Ouest de la France, l’ancrage paroissial y est très fort.
Cette influence était palpable, voire visible : une programmation bien sage et un rappel sur le rideau du chemin qui ramenait à l’église. Si aujourd’hui, le fronton du bâtiment est entièrement dédié à l’enseigne du cinéma, avec Pierre Fresnay comme icône, à l’époque, la projection des films n’était qu’une activité de plus parmi celles proposées dans ce lieu.
L’association Héric Cinéma est née dans les années 1980. « Jusque dans ces années-là, ça faisait cinéma, théâtre, musique et éducation. C’est pour ça qu’il y a un grand espace derrière l’écran. (…) C’était vraiment un lieu de vie et plus que ça ». A tel point que cela débordait le bâtiment. Sur le flanc de l’édifice, il y a un étrange appendice de béton, long, haut et étroit. C’est un espace prévu pour faire glisser et ranger l’écran de cinéma afin de laisser entièrement la place à la scène de théâtre.
Le bâtiment du futur Gén’éric, en 1908.
Le bâtiment dans les années 80.
Le Gén’éric de nos jours.
LE RÉVEIL DU BOURG PASSE PAR LE CINÉMA
« On n’a pas trop de mal à avoir des bénévoles », résume David Batard. Aujourd’hui, ça tient même de l’euphémisme avec 109 personnes mobilisées autour de la salle et quelques-unes qui patientent sur liste d’attente. La commune d’Héric se situe dans la deuxième couronne au nord de Nantes. Ancienne bourgade, elle est aujourd’hui ce qu’on appelle une cité-dortoir. « Maintenant, les gens se connaissent un peu moins. Moi, je suis l’exemple-type de cette nouvelle population puisque avant j’habitais à Nantes », reconnaît David Batard. Avant, c’était une commune rurale. On vivait et on travaillait sur place. En 15 ans, elle est passée de 3 000 à 6 000 habitants. Le renouvellement de la population d’Héric se traduit directement dans les effectifs du cinéma. Il y a quelques années le cinéma comptait dans ses rangs beaucoup plus de retraités. Aujourd’hui, ils représentent moins de 10% des bénévoles.
Outre les deux salariés, David Batard et Thérèse Lévêque, agent d’entretien, le lieu est entièrement géré par les bénévoles. A chaque séance, outre le projectionniste, il y a quatre personnes dans le hall pour accueillir les spectateurs. Au moins une fois par mois, le conseil d’administration se réunit. Il est composé de neuf personnes. « Je propose et ils disposent », confie le directeur. « Pour le côté démocratique, j’aime bien que chaque décision soit prise de manière collective ». Dans la gestion quotidienne de la salle, la création d’un poste en tant que salarié a permis de décharger les membres du CA de missions chronophages comme l’administration.
Selon une étude menée par la salle, 50% des spectateurs viennent d’Héric même et 50% des communes situées dans un rayon de 20 km. « Nous sommes vraiment pour un développement culturel de proximité », explique David Batard. « L’idée étant de se dire : ce n’est pas parce qu’on n’habite pas dans le centre-ville de Nantes qu’on n’a pas le droit à un accès à la culture qui soit le même ». Quatre films sont chaque semaine à l’affiche du Gén’éric. David Batard se charge lui-même de la programmation. Il poursuit le travail de sélection qu’il menait depuis une dizaine d’années en tant que bénévole. Dans sa relation avec les distributeurs, le directeur entend faire valoir sa proximité avec le public et donc la connaissance de ses attentes. « Que ce soit dans le centre-ville de Nantes ou à Héric, il faut essayer de faire confiance à l’exploitant qui sait évaluer le nombre de séances suffisantes pour diffuser un film ».
La sélection des films est définie en accord avec une entente de programmation indépendante : le GPCI (Groupement de Programmation des Cinémas Indépendants). Fort de ces 5,2 millions d’entrées, l’entente a un poids bien plus fort pour négocier directement avec les distributeurs. Pour obtenir la diffusion de Star Wars : Rogue One, le distributeur du film, Disney, impose un pourcentage minimum de 80% du nombre total de séances de la salle. On n’est pas loin du plein programme, c’est-à-dire d’une salle dédiée à un seul film. Dans les faits, c’est plus que contraignant pour un mono-écran. L’intérêt d’être membre de l’entente, c’est que le groupement fait circuler les films entre salles. Le Gén’éric n’a donc pas l’obligation de garder 5 semaines à l’affiche un film dont les conditions de programmation le priverait de la diversité de son offre.
L’objectif du directeur est de proposer une programmation diversifiée à la fois grand public et Art et Essai. « Je regarde tous les styles de films. Certains me plaisent, d’autres me plaisent moins mais je pense que les habitants d’Héric et des alentours peuvent très bien aller voir Radin ! comme ils peuvent aller voir Toni Erdmann. Il ne faut pas forcément sanctuariser le cinéma dans des domaines très pointus ou très différents. Je pense qu’on peut aimer tous les genres cinématographiques ».
L’une des principales limites à la diversité de l’offre tient au manque d’écrans pour répondre à la proposition toujours croissante de films en terme de sorties. A Héric, l’historique mono-écran vit ses dernières heures : le projet de rénovation et d’agrandissement du cinéma est dans les tuyaux depuis 2013. « Le fait d’avoir de très grandes salles, comme on a pu en avoir autrefois, n’est pas un avantage aujourd’hui pour la diversité culturelle puisqu’il est difficile de remplir une salle de 240, même si dès qu’il y a un gros film, ça marche. (…) Il faut plutôt réduire le nombre de fauteuils et augmenter le nombre d’écrans. (…) C’est pour ça que, dans notre projet de rénovation, la grande salle comportera moins de fauteuils que notre salle actuelle. De 243 fauteuils, elle passera à 226. Il y aura une moyenne de 150 et une petite de 51 pour vraiment pouvoir avoir trois films différents par séances ». L’ouverture des trois salles, dont la moyenne équipée pour les projections sur support argentique, est donc pensée comme un facteur favorisant la rencontre de publics différents. « À partir de trois écrans, on peut commencer à proposer des choses que tout le monde veut voir, mais aussi des choses plus pointues ».
Le grand saut de la rénovation
La dernière rénovation du bâtiment remonte à 1996, année où l’association a pris le nom actuel de Gén’éric. Le lieu devrait faire peau neuve au second semestre 2018. Cette reconstruction portera également sur les normes d’accessibilité (obligatoire pour les établissements publics inscrits dans la loi depuis 2005). Trop souvent, les personnes à mobilité réduite se retrouvent au premier ou au dernier rang.
La proposition d’Olivier Baudry, architecte du Café des Images à Hérouville Saint-Clair et du Ciné Manivel à Redon, est de rénover les salles afin d’offrir un accès total aux spectateurs en situation de handicap. L’un des objectifs est également de revoir complètement l’isolation acoustique du lieu. Comme un rappel des premières heures du cinéma, le clocher d’Héric ajoute sa note à la partition des films. Une interférence qui, bien que pittoresque, froisse les oreilles du directeur, fin mélomane et expert en système de diffusion.
La proposition de l’architecte Olivier Baudry qui devrait voir le jour au second semestre 2018.
Dans le mémoire que David Batard a rédigé lors de son cursus à la FEMIS, et qui a pour titre : La qualité des projections dans les salles de cinéma est-elle à la hauteur de l’œuvre cinématographique ?, il s’agit de se placer du point de vue des réalisateurs et de voir si les équipements des salles étaient à la hauteur de leurs œuvres. Bref, faut-il remettre les salles à niveau ? Son interrogation porte notamment sur la diffusion sonore. Selon lui, avec le passage au numérique, le gain majeur se situait vraiment du côté de la bande-son. « Avec le format numérique, le son a gagné en dynamique. On a vraiment toute la bande-son, toute l’amplitude sonore. Ça permet de faire des choses magnifiques. Mais il faut des salles bien équipées et dotées d’une acoustique adaptée pour ce type diffusion ». Or, contrairement à l’image, il n’y a pas eu d’obligation d’équipement. « Le son était le grand perdant du passage au numérique », résume David Batard. Dans le suivi des travaux du cinéma, le directeur garde bien en tête des notions d’acoustique et que la salle, c’est 50 % de son.
Le financement des travaux bénéficie des aides du CNC, du Département et de la Région. « Nous sommes très soutenus. Il faut avoir envie de faire les choses, même s’il est vrai que ça prend beaucoup de temps ». Pour suivre l’avancée des travaux, l’association n’a pas délégué le projet à un maître d’ouvrage. Comme le précise le coprésident du Gén’éric, Olivier Tressos, « ce montage est atypique car c’est l’association qui porte le projet ». Il faut donc un collectif fort et dynamique pour suivre un tel projet dans le temps. Outre la recherche de lien social et la participation à la vie quotidienne de la salle, c’est bien le projet de rénovation qui réunit au premier chef aujourd’hui les bénévoles. « C’est vrai que depuis qu’on a le projet, il y a beaucoup de gens qui viennent nous voir en disant : voilà, moi aussi, j’ai envie de participer à l’aventure », explique David Batard.
Aller au devant du public
L’équipe du cinéma est fière de son indépendance. « Le cinéma a toujours été indépendant, il a vécu très longtemps sans subvention de la commune. Il était complètement indépendant parce qu’il voulait être libre de sa programmation aussi ». En 2016, la salle a enregistré plus de 33 000 entrées. Sa fréquentation pourrait s’étoffer avec la restructuration du cinéma. L’ouverture de trois salles est liée aussi à une logique économique. « Ça reste viable et cela nous offre la possibilité de ne pas vivre aux crochets de municipalités ou d’autres institutions ».
Depuis le passage à l’euro en 2002, le prix de la place reste inchangé à 5 euros. Il était exclu de l’augmenter tant que le confort, l’assise et la climatisation de la salle n’évoluait pas. Il existe aussi deux tarifs réduits : la carte Gén’éric qui donne accès pour 4 euros à toutes les séances et une réduction ponctuelle à 3 euros, lors des séances découvertes. Au rythme de deux par semaine, ces découvertes permettent un accès plus facile au cinéma et moins onéreux pour les familles et un large public.
« Aujourd’hui, on est à plus de 200 millions d’entrées sur la France. Même si on se félicite chaque année de la fréquentation des salles de cinéma, ça pourrait aller mieux encore. Notre public cinéphile d’aujourd’hui, il venait déjà au cinéma il y a 20 ans ».
Car, ici comme ailleurs, un public résiste à l’offre des cinémas de quartier et/ou d’Art et d’Essai. Il s’agit des 15-25 ans. « Si aujourd’hui, on oublie notre public d’aujourd’hui, dans 20 ans, il n’y aura plus de public. Parce que c’est notre public de demain. C’est ce public là qu’il faut arriver à faire venir. Il ne faut pas hésiter à leur faire découvrir des choses ». Pour aller chercher ces nouveaux spectateurs, l’équipe du Gén’éric a eu l’idée de sortir de la salle pour aller au devant de celui-ci. « Les gens viennent très peu naturellement en se disant : tiens, je vais tenter l’expérience (…) Quand les gens font cette démarche, ce qui arrive trop rarement, ils sont généralement ravis ».
David Batard croit beaucoup au lien de confiance qui peut se tisser entre spectateurs et exploitant. « Il faut que l’exploitant accomplisse un travail de communication avec son public et qu’il ne soit pas juste un vendeur de billets. C’est un boulot à plein temps. Nous militons, avec d’autres exploitants, pour qu’une convention soit signée entre l’État et les Régions qui aiderait à financer des postes d’animateur dans les cinémas ». Pour l’instant, la démarche que son équipe propose consiste à solliciter directement les passants que ce soit à l’arrêt de car ou au supermarché. La modalité de cette invitation doit beaucoup à l’initiation qu’a connu le directeur de la salle. Proposer le film, expliquer en amont son propos et passer ensemble cette séance. « Parce qu’il y a beaucoup de gens qui ne vont plus au cinéma parce qu’ils sont seuls. Le cinéma c’est aussi et peut-être surtout ça : partager une expérience, partager un moment, sortir un peu de la vie quotidienne ». Un moment d’échange ainsi qu’une petite visite des coulisses du cinéma suit la projection. C’est avec le film hispano-argentin, Truman de Cesc Gay, que l’équipe a initié, en août 2016, une opération d’ouverture au public qu’elle entend renouveler tous les 15 jours. L’initiative a plu. Concourant dans le cadre du Prix national de la salle innovante lancé en 2016 par le CNC, la démarche baptisée « Osons le cinéma » a obtenu une mention spéciale à Deauville. Cette reconnaissance conforte David Batard dans son approche du métier d’exploitant. Une interrogation centrale guide : « Qu’est-ce qu’on fait de plus dans nos salles ? ».
Soirée spéciale avec une AMAP, double programme autour de la danse contemporaine à découvrir tant sur écran que sur scène, toutes les occasions sont bonnes pour réinventer « l’expérience cinéma » chère à David Batard. « Il ne faut pas avoir peur d’oser. On se dit souvent : “ça, je ne vais pas le faire, les gens ne vont pas aimer”. Au contraire, il faut y aller. On s’aperçoit que les spectateurs adorent ça. Les gens sont quand même curieux de nature. Justement, si nous, les salles de cinéma, on ne prend pas ce genre d’initiatives, on va devenir une société un petit peu aseptisée. On rentre, on paie son entrée, on voit une œuvre qui est déjà formatée, on ressort et on rentre chez toi. Il faut innover, si on veut plus de curiosité, plus de fun. La vie a besoin de ça. » A Héric comme ailleurs, une expérience spontanée de cinéma est de mise.
Alexandre Duval
Identité du Gén’éric
Cinéma : Le Gén’éric
Directeur : David Batard
Sur le web : Facebook / Site internet
Contact : 02 40 57 61 08 (répondeur) 06 42 99 33 69 (ligne directe)
Adresse : Rue de l’océan, 44810 Héric
Labels : Cinéma Classé Art et Essai
Fréquentation en 2016 : 33 400 entrées
Nombre de films programmés à l’année : 202
Tarifs pratiqués : 5€ tarif plein, 4€ tarif abonnement et 3€ tarif découverte
Les événements phares du cinéma
Opération nationale « Osons le Cinéma »
et les événements habituels du Gén’éric : Ciné-débats, ciné-rencontres tout au long d’année.
Les trois meilleurs films en 2016 de David Batard
“Toni Erdmann”, “Juste la fin du monde” et “La tortue rouge”.
Retrouvez les portraits suivants :
- Sylvette Magne du cinéma Le Jacques Tati à Saint-Nazaire ;
- Emmanuel Gibouleau, du Cinématographe à Nantes ;
- Sylvain Clochard, directeur du Concorde de Nantes ;
- Didier Anne et Gautier Labrusse du cinéma Le Lux à Caen.